Premier long-métrage de la jeune réalisatrice et scénariste prometteuse Luna Carmoon, Crasse incarne parfaitement le drame adolescent né de traumatismes d’enfance. Présenté en avant-première à la 80e Mostra de Venise, le film a remporté quatre prix et s’est imposé sur d’autres grands festivals européens — grâce à cette qualité singulièrement vive, brute et sans vergogne qu’un premier film peut, légitimement, se permettre.
L’histoire débute par une relation mère-fille étrange, installée dans l’excès étouffant d’un intérieur devenu invivable, conséquence du trouble psychique sous-entendu de la mère. Cette même pathologie entraîne leur séparation et l’entrée de la jeune fille dans un nouveau foyer. Des années plus tard, à l’aube de sa vie d’adolescente et de ses premières expériences sexuelles, elle se retrouve confrontée, encore une fois, aux schémas hérités de son passé. Mais cette fois, l’issue dépendra entièrement d’elle.
Comme toute œuvre où la forme répond intimement au fond, Crasse ne livre pas seulement une histoire, mais crée un univers narratif aux règles et tendances qui nous forcent à interroger notre propre réalité.
Écrit et réalisé par Luna Carmoon dans sa vingtaine, Crasse concentre tout ce que l’on peut attendre d’un premier film signé par une jeune artiste: une esthétique des traumatismes de l’enfance, des images expressives et des performances d’acteurs audacieuses. Si le jeu peut parfois sembler excessif, l’émotion dégagée est d’une sincérité brute que des réalisateurs plus expérimentés n’oseraient pas ou que des producteurs n’autoriseraient sans doute pas. Dans le cas de Crasse, ces excès ne servent pas uniquement le style, mais aussi le fond — car comment raconter autrement le parcours d’une héroïne au bord de la psychose?
Cependant, le scénario souffre parfois de creux narratifs, d’incertitudes non élucidées, voire de pistes oubliées en cours de route. Cela pourrait passer inaperçu, si ces zones d’ombre n’étaient pas justement les aspects les plus sombres et controversés du récit. Le film perd alors une occasion d’atteindre la tension psychologique qu’il laisse entrevoir, sans jamais oser totalement l’assumer. Là où il pourrait troubler, il reste trop sage.
Malgré cela, les choix esthétiques du film épousent sa thématique avec cohérence. Comme toute œuvre où la forme répond intimement au fond, Crasse ne livre pas seulement une histoire, mais crée un univers narratif aux règles et tendances qui nous forcent à interroger notre propre réalité. Les engagements amoureux répètent-ils nos attachements infantiles? Et si oui, peut-on en sortir ou sommes-nous condamnés à rejouer la vie de nos parents? Tandis que l’héroïne de Crasse semble entrer dans un scénario tristement familier à celui de sa mère, le film n’offre pas de solution modèle, mais dévoile un schéma — un schéma que, pris conscience à l’écran, on peut peut-être éviter dans la vie réelle.
RÉALISATEUR : Luna Carmoon NATIONALITÉ : Grande-Bretagne GENRE : Drame AVEC : Saura Lightfoot Leon, Hayley Squires, Joseph Quinn DURÉE : 2h 07min DISTRIBUTEUR : Piece of Magic Entertainment France SORTIE LE 11 juin 2025