Coup de chance : l’ironie du sort

Ces dernières années, pour des raisons extra-cinématographiques, la production de Woody Allen s’est raréfiée. Lui qui délivrait avec une précision de métronome un film par année n’en a plus tourné que trois en six ans, ce qui représenterait une production enviable pour tout autre cinéaste. Ce déficit quantitatif s’accompagne également d’une baisse qualitative : ni Un Jour de pluie à New York (une tentative avortée de séduire la jeune génération grâce à un casting rajeuni, présentant Timothée Chalamet, Elle Fanning et Selena Gomez) ni Rifkin’s Festival (un hommage nostalgique, poussif et vieillot aux cinéastes qui ont marqué Allen) n’ont marqué durablement les esprits. Avec son cinquantième et possible dernier film, Coup de chance, tourné en France et principalement à Paris, plus de dix ans après Minuit à Paris, Woody Allen bénéficie d’une chance, c’est le cas de le dire, de clore plus honorablement son oeuvre.

Fanny et Alain se sont connus au lycée. Alain était amoureux de Fanny, à l’époque, sans jamais le lui avouer ouvertement. Quinze ans ont passé. A Paris, ils se retrouvent par hasard dans la rue. Divorcé, Alain est devenu écrivain. Assistante d’un commissaire-priseur, Fanny est mariée à Jean, avec qui elle forme un couple en apparence idéal des beaux quartiers. Pourtant, elle se rapproche de plus en plus d’Alain, vers qui elle ressent une attirance irrépressible…

Coup de chance relève nettement le niveau par rapport aux deux précédents films d’Allen et pourrait même, comme l’auteur en a affiché l’intention, être considéré comme une conclusion assez digne et élégante à l’ensemble de l’oeuvre.

Un Jour de pluie à New York et Rifkin’s Festival se présentaient sous les atours de comédies plus ou moins mélancoliques. Or, même si Coup de chance est également filmé sous des couleurs vives et claires, se cache en fait un thriller assez sombre dans ce cinquantième film de Woody Allen. Allen tente de le masquer au maximum en accentuant la luminosité de son film qui l’apparenterait davantage à une comédie romantique ou en donnant un rôle de première importance dans la seconde partie du film à l’inénarrable Valérie Lemercier qui donne une touche incontestablement comique à son personnage d’enquêtrice malgré elle, sorte de version moderne et française de Diane Keaton dans Meurtre mystérieux à Manhattan.

Pourtant, si on regarde l’histoire de Coup de chance, il s’agit plutôt d’un drame, voire d’un thriller, mais Allen fait le choix de le tourner quasiment comme une comédie, brouillant ainsi les pistes quant à son utilisation des genres. Coup de chance s’apparente en fait scénaristiquement à la lignée des films de Woody Allen sur la culpabilité et le destin, tels que Crime et délits, Match point, Le Rêve de Cassandre, L’Homme irrationnel, Wonder Wheel, sans doute sa meilleure veine dramatique. Dans tous ces films, on peut constater un meurtre mystérieux, un coupable non puni par la loi, une culpabilité qui pèse plus ou moins sur la psyché du personnage principal. Tous les cas de figure sont proposés dans cette série de films : un meurtrier définitivement impuni qui se débarrasse de sa culpabilité, qui la vit comme une condamnation, deux meurtriers qui ne réagissent pas de la même manière et s’entretuent, un meurtrier vaincu par un deus ex machina, alors qu’il s’apprête à commettre un nouveau meurtre, une culpabilité qui ne cessera de peser sur une personne qui a livré une autre à la mort par abstention, etc. Coup de chance invente une nouvelle variante dans l’ensemble de ces dénouements dramatiques, mais sous une apparence de comédie rythmée qui l’apparenterait plutôt à Meurtre mystérieux à Manhattan ou surtout L’Homme irrationnel.

Transposant complétement son univers en France et essentiellement à Paris, Woody Allen réalise sans doute ici un vieux fantasme, celui de tourner un film en France (ce qu’il avait fait avec Minuit à Paris et Magic in the moonlight) et le tourner entièrement en langue française. A quoi reconnaît-on alors le style allenien? Serait-il soluble dans l’univers français? En fait, il ne faut guère longtemps pour identifier, en dépit de la langue française, la patte du metteur en scène : de longs dialogues vifs, spirituels et rythmés (on retiendra les phrases révélatrices « on ne sort pas indemne d’un divorce« , «  »même si on essaie de tout contrôler, on ne peut rien contrôler« ), des plans-séquences très développés qui suivent en steadicam les déplacements des personnages, des préoccupations métaphysico-spirituelles qui imprègnent la plupart des actions. Même si une part de l’humour new-yorkais se perd sans doute « in translation », le style allenien n’apparaît pas du tout dénaturé et semble même assez vif, pour un cinéaste affichant 87 printemps. Néanmoins, l’on perçoit assez vite que les tourtereaux romantiques (Lou de Laâge et Niels Schneider) ne l’intéressent guère et que Allen réserve toute son attention à l’affrontement quasi-métaphyqsique entre un Mal machiavélique et retors (excellent Melvil Poupaud dans la droite ligne de son personnage de pervers narcissique de L’Amour et les forêts) et un Bien maladroit et comique (désopilante Lemercier).

Il manque cependant un léger tour de vis scénaristique lorsque ces deux principes finissent par s’affronter, ce qui fait un peu retomber le film comme un soufflé, alors que l’intrigue partait sur des bases dramatiques certes conventionnelles mais assez prometteuses. En fait, Coup de chance s’affiche comme une sorte de méditation distanciée sur les coups du sort. « La vie est une variable aléatoire » entend-on à la toute fin du film. Allen contemple ainsi avec un certain recul les aléas du destin qui distribuent plus ou moins équitablement bons et mauvais points entre coupables et innocents. Sans être un chef-d’oeuvre, Coup de chance relève nettement le niveau par rapport aux deux précédents films d’Allen et pourrait même, comme l’auteur en a affiché l’intention, être considéré comme une conclusion assez digne et élégante à l’ensemble de l’oeuvre.

3.5

RÉALISATEUR : Woody Allen
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : thriller, romance, drame 
AVEC : Lou de Laâge, Niels Schneider, Melvil Poupaud, Valérie Lemercier 
DURÉE : 1h33 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport 
SORTIE LE 27 septembre 2023