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Rifkin’s Festival : comment tourner en rond dans le cercle de ses obsessions

La fin annoncée (et peut-être prématurée) de la pandémie préfigure un retour à la normale qui se proclame par des signes plus ou moins triomphants, pour le pire ou le meilleur : le retour du Festival de Cannes au mois de mai, la conclusion du procès Depp/Heard, le nouveau Woody Allen…Eh oui, le nouveau Woody Allen….Il fut un temps voire une éternité, trois ou quatre ans auparavant, où la vie cinématographique était rythmée chaque année par l’envoi régulier d’une carte postale cinématographique d’une heure et demie. C’était avant la pandémie, avant #MeToo. Nous ne nous étendrons pas sur les déboires médiatico-judiciaires de l’auteur de Crimes et délits (pour ceux que l’affaire intéresse, il suffit de lire attentivement les pages 349 à 352 de l’autobiographie de Woody Allen, Soit dit en passant, pour être suffisamment édifié, à moins de mauvaise foi et d’idolâtrie aveugle, sur les contradictions flagrantes de la déposition de l’auteur par rapport à ce qui s’est passé le 4 août 1992). Nous ne traiterons ici que de Rifkin’s Festival, le cinquantième film de Woody Allen, peut-être son dernier. Achevé en 2020, il devait sortir cette année funeste, avant que sa sortie ne soit annulée puis maintes fois différée en 2021. Il sort donc enfin en 2022. Quid de cette possible conclusion à une oeuvre controversée?

Mort Rifkin, prof de cinéma qui souhaite se reconvertir dans l’écriture, se confie à son psychanalyste sur ses dernières vacances à San Sébastien en Espagne. Il y accompagnait son épouse Sue, attachée de presse, au Festival international de cinéma de San Sébastien. Aux petits soins pour un jeune metteur en scène français à la mode, Philippe, Sue délaisse ouvertement son mari. Pendant ce temps, il s’éprend d’une séduisante médecin, Jo Rojas, qui connaît de sérieux problèmes de couple avec un peintre volage….

Marivaudage divertissant mais très superficiel, Rifkin’s festival n’apporte rien à la renommée de Woody Allen et ne parvient à susciter une réelle émotion qu’à la toute fin, comme dans Café Society, où fugitivement, une ombre passe sur le visage d’Elena Anaya, faisant le deuil d’un amour avorté qui n’aura jamais pu prendre sa place, en balayant du regard une illusion mort-née.

Loin de New York et de la vindicte qui le pourchasse là-bas, Allen a donc établi ses quartiers fictionnels à San Sebastien. Dans son nouveau film, l’amateur allenien y retrouvera donc un protagoniste porte-parole de l’auteur (Wallace Shawn, qui succède dans cet emploi à Jesse Eisenberg, Owen Wilson, Kenneth Branagh, John Cusack, Timothée Chalamet, Larry David, etc.), un velléitaire hypocondriaque qui rêve à plus de cinquante ans, d’écrire son grand roman, un chef-d’oeuvre qui marquera la littérature au même titre que Joyce ou Dostoievski. Depuis que Woody Allen a dépassé les 75 ans, il n’apparaît plus dans ses films et laisse la lumière à des alters egos, soit beaucoup plus jeunes (Chalamet, Eisenberg), soit portant les stigmates de l’âge mais en affichant vingt à trente ans de moins que l’auteur (en ce sens, Wallace Shawn se rapproche de Larry David). Quoi qu’il en soit, Rifkin’s Festival fête les retrouvailles avec un protagoniste plus allenien que nature, éternel perdant dans sa vie, que ses parents ont toujours délaissé par rapport à un frère préféré, mari trompé et lamentable soupirant platonique.

La bonne surprise du film provient de la clarté et de la limpidité du style toujours divertissant de l’auteur. Sans prétendre au grand cinéma, Woody Allen met en place sans difficulté aucune un marivaudage parallèle, évoquant de loin, dans ses meilleurs moments, Hong Sang-soo ou Eric Rohmer, où, pendant qu’une épouse trompe éhontément son mari, ce dernier va passer du temps avec une médecin attachante dont il ne va pas tarder à tomber amoureux sans espoir. Rien de bien neuf sous le soleil de San Sebastien, puisque l’intrigue est cousue de fil blanc mais Allen la construit avec un véritable savoir-faire éprouvé depuis plus de cinquante ans. De même, il n’a rien perdu de sa verve satirique quand il s’attaque aux jeunes cinéastes à la mode, manifeste son attachement aux cinéastes de la Nouvelle Vague au détriment des grands maîtres américains (Ford, Hawks, Capra qui le laissent indifférent) ou se moque des cinéastes que les critiques portent aux nues, sous prétexte qu’ils filment la réalité. On reconnaîtra également l’Allen touch quand Mort (le protagoniste déjà quasiment mort dans sa vie) reconnaîtra qu’il donnerait tout pour une promenade boulevard Saint-Michel sous la pluie (clin d’oeil à la scène de Minuit à Paris avec Léa Seydoux). En revanche, ses détracteurs lui reprocheront sans doute la réplique où Elena Anaya affirme qu’un artiste ne peut être évalué moralement selon les codes bourgeois.

Marivaudage divertissant mais très superficiel, Rifkin’s festival n’apporte rien à la renommée de Woody Allen et ne parvient à susciter une réelle émotion qu’à la toute fin, comme dans Café Society, où fugitivement, une ombre passe sur le visage d’Elena Anaya, faisant le deuil d’un amour avorté qui n’aura jamais pu prendre sa place, en balayant du regard une illusion mort-née. Dans les opus alleniens, Rifkin’s festival évite le désastre de To Rome with love et se situe approximativement au même niveau que le précité Café Society ou Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, anecdotiques mais plaisants. Néanmoins l’essentiel du film ne se trouve pas là mais dans les pastiches en noir et blanc des oeuvres et des cinéastes que Woody Allen aime. Rifkin, en effet, pendant le Festival de San Sebastien, est envahi de visions nocturnes sous forme d’extraits de film. Allen en profite pour rendre hommage à des cinéastes fétiches (Welles et son Rosebud, le Huit et demi de Fellini, déjà imité dans Stardust memories, Truffaut, Godard et – non pas Rohmer ou Chabrol mais – Lelouch (!) représentant la Nouvelle Vague, Buñuel (le plus difficile à pasticher) et son Ange exterminateur, et Bergman qui a droit à un hommage appuyé de trois extraits ‘(Persona, Les Fraises sauvages et Le Septième sceau, avec Christoph Waltz incarnant la Mort face à Mort Rifkin). En ce sens, faisant son propre festival à l’intérieur de sa tête, Allen rend hommage aux maîtres de cinéma qu’il a aimés, en les parodiant avec humour et humilité, montrant ainsi toute la distance qui l’a toujours séparé d’eux.

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RÉALISATEUR :  Woody Allen
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Wallace Shawn, Elena Anaya, Gina Gershon, Louis Garrel, Sergi Lopez
GENRE : comédie 
DURÉE : 1h32 
DISTRIBUTEUR : Apollo Films 
SORTIE LE 13 juillet 2022