Scandar Copti, le réalisateur palestinien, n’était pas revenu au cinéma depuis son film primé à Cannes – mention spéciale à la Caméra d’or – Ajami en 2009. Il aura donc mis 15 ans à nous livrer son second long-métrage. Le temps de mûrir et de tourner un film sous forme de portrait de famille à Haïfa, ville israélienne du nord en bordure de la côte méditerranéenne, troisième agglomération la plus peuplée du pays. Cette famille est arabe et le film débute comme il se termine, formant une boucle qui, pour autant, n’a rien de fatale – le personnage finissant bien plutôt par s’évader du cadre contraignant qui l’enserre – par le personnage de Fifi, 25 ans, qui se trouve hospitalisée suite à un accident de voiture avec un léger traumatisme aux cervicales. Ce qui provoque un transfert de son dossier médical, évènement qui va lui être préjudiciable. Car Fifi est une jeune fille libre, qui sort en boîte avec ses amis tout en suivant des études et s’habille légèrement. Rebelle donc aux conventions, elle est une épine au pied de sa mère qui veut absolument la marier à Walid, un médecin de l’hôpital qui s’intéresse à elle.
Pendant ce temps, Rami, son frère, apprend de sa petite amie juive Shirley qu’elle est enceinte. Il refuse qu’elle accouche tandis qu’elle veut garder le bébé. C’est la liberté du corps de la femme qui est en jeu dans cet épisode où Rami se fait le persécuteur de Shirley qu’il harcèle, en se rendant directement chez elle ou indirectement via son téléphone portable. L’usage de ce dernier a une importance relative dans le film où la communication circule sans cesse d’un personnage à l’autre en passant par un troisième sans que cela règle les malentendus et les oppositions qui se font jour entre les protagonistes issus de générations différentes – effet de contraste saisissant. Hanan, la mère, fait tout pour illustrer et sauvegarder l’honneur de la famille, affairée qu’elle est au mariage de sa fille Leila. Question d’unions qui se font ou se défont au gré des évènements qui ont un lien avec la condition féminine – la maternité, la sexualité et plus généralement l’asservissement ou non de la femme aux obligations imposées par les hommes.
Question d’unions qui se font ou se défont au gré des évènements qui ont un lien avec la condition féminine – la maternité, la sexualité et plus généralement l’asservissement ou non de la femme aux obligations imposées par les hommes.
Pendant ce temps, une ruine des affaires de la famille se profile, suite à une affaire de malversations, et le père prend des dispositions pour mettre la maison en vente, ce que voit d’un mauvais œil Rami et que refuse tout net Hanan – le prestige de la famille étant en jeu. Les dialogues et l’action se font suivant un rythme haletant et on n’a pas le temps de s’ennuyer, le destin de chaque personnage étant à chaque instant remis en question. En effet deux caméras portées suivent en permanence les personnages au plus près en plan serré comme dans un documentaire, ce dispositif tendant à dynamiser le récit, lui imprimant une intensité particulière. En outre, l’équipe technique extrêmement réduite est quasiment invisible pour les acteurs leur permettant de s’exprimer avec le plus de naturel possible.
Naturel renforcé par le fait que les acteurs jouent leur rôle dans la vie, et que n’ayant pas lu le scénario, les répliques naissent de l’instant présent. Les injonctions de la mère, issues d’un système patriarcal solidement implanté, se mêlent à une atmosphère étouffante où la militarisation de la société est poussée à son plus haut degré – défilé militaire, dessins faits par des jeunes enfants à destination des soldats, glorification de l’armée par l’institutrice – la jeune Ori éclatant en larmes devant le discours culpabilisant de sa mère Miri, tandis qu’elle se refuse à faire son service militaire. On voit dans le film comment les mères ont intégré le discours conservateur et les valeurs patriarcales dégradantes pour la liberté de la femme dont elles sont victimes elles-mêmes. Il faut encore savoir que le film se décompose en plusieurs parties qui se recouvrent les unes les autres temporellement et que le spectateur adopte pour chaque chapitre le point de vue particulier d’un personnage. Les informations recueillies peu à peu se démentent ou se complètent pour enfin donner une vision globale de l’histoire, nous faisant complices du cheminement de pensée du réalisateur. Un véritable tour de force!
RÉALISATEUR : Scandar Copti NATIONALITÉ : Palestine, Allemagne, France, Qatar, Italie GENRE : Drame AVEC : Manar Shehab, Toufic Danial, Wafaa Aoun, Raed Burbara DURÉE : 2h03 DISTRIBUTEUR : Nour Films SORTIE LE 3 septembre 2025