Cette année, la conférence de presse de la Sélection Officielle du Festival de Cannes avait à la fois un goût de dernière fois et de première fois. Dernière fois car c’était la dernière conférence de presse de Pierre Lescure en tant que Président. Il s’agissait aussi, étrange coincidence de l’adieu à Canal Plus en tant que partenaire de couverture et de retransmission de l’événement. La chaîne qui avait fait les belles heures du glamour bling-bling des années 90-2000 laisse désormais la place, comme l’a annoncé Pierre Lescure, à d’autres partenaires, France Télévision qui avait déjà assuré bien avant Canal Plus la supervision du Festival, associé de Brut et TikTok, éléments de modernité inattendus destinés à rajeunir la popularité de la manifestation.
Le 75ème Festival sera donc celui de la transition vers une nouvelle ère, avec ces nouveaux partenaires et l’année prochaine l’arrivée d’une nouvelle présidente l’Allemande Iris Knobloch. Comme l’a énoncé Thierry Frémaux, tout le monde espère qu’il s’agira du « premier Festival post-crise », évoquant ainsi les deux ans de crise que le monde et le cinéma ont tous deux traversé et estimant qu’il faudra sans doute deux ans pour réellement en sortir et revenir à la normale. Pour autant, le Festival semble se porter tout aussi bien que Pierre Lescure qui a quasiment le même âge, coïncidence troublante. Contrairement aux oiseaux de mauvais augure qui, dès 1982, cf. Room 666 de Wim Wenders, pensaient déjà que le cinéma était un art destiné à disparaître en ces années-là, le cinéma est là, et toujours bien là, quarante ans plus tard.
Toujours là, mais un peu fragile et convalescent, tout de même. Pour revenir à la situation antérieure, l’Ouverture du Festival de Cannes proposera un film de zombies, comme en 2019, trois ans auparavant: Z (comme Z) de Michel Hazanavicius, comédie sur un tournage de films de zombies, tentera de succéder à The Dead dont die de Jim Jarmusch, occultant ainsi un intervalle douloureux de trois années. L’Histoire est un éternel retour, comme l’écrivait Héraclite. La Sélection officielle de cette année apparaît prometteuse, présentant son lot de cinéastes déjà palmés, de prétendants ambitieux et de révélations possibles, et pour l’instant resserrée sur 18 films, en attendant un possible complément de sélection la semaine prochaine.
Les vétérans palmés
On appellera ainsi ce club assez fermé des cinéastes palmés qui représentent à eux seuls le quart de la sélection. Ils sont en effet quatre : les frères Dardenne (double Palme pour Rosetta et L’Enfant), en quête d’une utopique troisième Palme avec Tori et Lokita, Cristian Mungiu (Palme d’or en 2007 pour son deuxième film, 4 mois, 3 semaines et 2 jours), Hirokazu Kore-Eda (Palme d’or en 2018 pour Une Affaire de famille) qui revient avec un road-movie sur l’adoption, Broker, et surtout Ruben Östlund qui risque de réveiller la Croisette, cinq ans après la Palme obtenue par The Square, en bon contempteur de nos moeurs contemporaines dans Triangle of Sadness, une satire de trois heures.
Les prétendants ambitieux
Dans ce groupe, on rangera les cinéastes plusieurs fois sélectionnés qui n’ont jamais ou quasiment pas obtenu de prix et rêveraient de décrocher la Palme, Graal suprême du cinéaste d’aujourd’hui. On peut en dénombrer au moins cinq : David Cronenberg qui revient avec un film portant le même titre que son deuxième film, sans que cela soit un remake, même si Crimes of the future, à la distribution alléchante, Viggo Mortensen, Léa Seydoux et Kristen Stewart, semble être un retour à ses obsessions premières (Julia Ducournau, avec le couronnement de Titane, lui aurait-elle préparé le terrain pour une future Palme qu’il n’a jamais obtenue, Crash étant le seul prix du jury décroché par Cronenberg?) ; Arnaud Desplechin (Frère et soeur) qui, un an après Tromperie accueilli dans la section Cannes Premiere, retourne en compétition avec une réexploration de ses thématiques familiales, dans le style d’Un Conte de Noël ou Rois et Reine ; Park Chan-wook a quant à lui, assisté au triomphe de son collègue Bong Joon-ho en 2019 et rêverait de pouvoir faire de même, ayant manqué la Palme d’or de peu en 2004 avec Old Boy ; James Gray, le grand cinéaste maudit, persiste et signe en continuant à présenter des films à Cannes, bien qu’il soit pour l’instant, toujours revenu bredouille, en espérant décrocher la timbale avec Armegeddon time, un retour sur sa jeunesse dans les années 80, avec Anne Hathaway et Anthony Hopkins. Enfin le cinéaste russe, ayant quitté son pays, Kirill Serebrennikov proposera après Leto et La Fièvre de Petrov, un nouveau film, cette fois-ci d’époque, La Femme de Tchaikovski.
Les révélations
Il s’agit ici souvent de révélations de la section Un Certain Regard qui accèdent à la catégorie supérieure : Ali Abassi (Holy Spider), metteur en scène danois, d’origine iranienne, remarqué avec Border, Prix Un Certain Regard 2018 ; Lukas Dhont (Close), Caméra d’or et Prix Fipresci Un Certain Regard pour Girl ; Saeed Roustayi (Leila’s brothers), découvert grâce à La Loi de Téhéran, présenté à la Mostra de Venise, et ayant obtenu un succès public et critique conséquent ; signalons également la toute première sélection de Tarik Saleh (Boy from Heaven), metteur en scène suédois d’origine égyptienne, auteur du remarqué Le Caire confidentiel, qui fait donc partie des bizuths de la Sélection Officielle au même titre que Abassi, Dhont et Roustayi.
Les inclassables ou revenants
Kelly Reichardt, consacrée récemment grâce à First cow, n’a présenté qu’un seul film à Cannes, dans la section Un Certain Regard en 2008, Wendy et Lucy, avec Michelle Williams, qu’elle retrouve dans Showing up. Elle revient à Cannes, après avoir fait partie en 2019 du jury ayant décerné la Palme à Parasite, après sa première sélection à Un Certain Regard. C’est un peu une trajectoire similaire qu’accomplit Claire Denis qui obtient son deuxième film retenu en Sélection Officielle en compétition, 34 ans (sic!) après Chocolat, son premier film en 1988, après des sélections à un Certain Regard (J’ai pas sommeil, Les Salauds) et hors compétition (Trouble Everyday). Cette sélection apparaît comme une consécration pour elle après l’Ours d’argent de la mise en scène à Berlin cette année. Pour Valéria Bruni-Tedeschi, c’est également un retour à la compétition, neuf ans après Un Château en Italie, afin d’évoquer ses souvenirs de l’école des Amandiers créée par un certain Patrice Chéreau. Idem pour Mario Martone, désigné pour représenter l’Italie, un peu par défaut, en l’absence de Moretti et Sorrentino, qui avait connu sa précédente sélection en 1995 (L’Amour meurtri), soit presque vingt-sept ans plus tôt. Mais la Palme du retour le plus surprenant revient à Jerzy Skolimowski qui renoue avec la compétition après Eaux printanières, datant de 1989, soit 33 ans plus tôt. Le cinéaste polonais est coutumier des éclipses, n’ayant pas tourné entre 1991 et 2008. Son dernier véritable film date de 2010, Essential Killing, qui lui a valu le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise.
D’un point de vue féminin, trois représentantes ont été sélectionnées (Reichardt, Denis, Bruni-Tedeschi), soit une de moins que l’an dernier. En jetant un regard géopolitique sur la sélection, on s’apercevra que les grands équilibres sont à peu près respectés, sans prédominance spectaculaire comme l’année dernière de la France : trois cinéastes français (Desplechin, Bruni-Tedeschi et le cas particulier de Claire Denis tournant en anglais), deux cinéastes américains (Gray, Reichardt), et deux cinéastes asiatiques (Kore-Eda et Park Chan-Wook). La Suéde et la Belgique obtiennent cette année autant de représentants que les Etats-Unis, un peu en retrait. Précisons que cette comptabilité peut être légèrement modifiée par les ajouts complémentaires de la semaine prochaine. Quoi qu’il en soit, 2022 se signale comme une année en léger repli, ou plutôt de retour à la normale, ce qui a peut-être également pour conséquence l’adoption du repli ou du retour vers soi ou son passé, comme thématique principale : 47 films en Sélection Officielle, toutes sections confondues, cette année au lieu de 80 l’année dernière, qui avait évacué en une sélection le trop-plein des années de confinement, pour 35 000 journalistes au lieu de 20 000 en 2021. Moins de films pour davantage de journalistes. Ceci explique que la sélection soit légèrement en retrait, moins attractive sur le papier sur la plupart des aspects, esquissant un retour timide à la normale. Néanmoins, si on signale les montées des marches événementielles (Tom Cruise pour Top Gun Maverick, Elvis de Baz Lhurmann, Novembre de Cédric Jimenez, Mascarade de Nicolas Bedos, le nouveau George Miller, Fumer fait tousser de Quentin Dupieux, etc.), la fête sera encore au rendez-vous. En passant, la petite-fille d’Elvis Presley, Riley Keough, brillante et séduisante actrice, présentera son premier film Beast dans la section Un Certain Regard, jetant ainsi un pont entre le passé et l’avenir. Si l’on rajoute les deux ou trois films qui font d’avance rêver tous les cinéphiles, ainsi que la dizaine de surprises imprévisibles qui redonneront certainement la foi dans la magie du cinéma, Cannes 2022 sera encore une fois à ne pas manquer!
LA LISTE DES FILMS SÉLECTIONNÉS
FILM D’OUVERTURE
Z (comme Z) de Michel Hazanavicius
EN COMPÉTITION
Holy Spider d’Ali Abbasi
Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi
Crimes of the Future de David Cronenberg
Tori et Lokita des frères Dardenne
The Stars at Noon de Claire Denis
Frère et sœur d’Arnaud Desplechin
Close de Lukas Dhont
Armageddon Time de James Gray
Baby, Box, Broker de Hirokazu Kore-eda
Nostalgia de Mario Martone
R.M.N de Cristian Mungiu
Triangle of Sadness de Ruben Östlund
Decision to Leave de Park Chan-wook
Showing Up de Kelly Reichardt
Leila’s Brothers de Saeed Roustayi
Boy from Heaven de Tarik Saleh
Tchaikovsky’s Wife de Kirill Serebrennikov
Hi-han de Jerzy Skolomowksi
CANNES PREMIERE
Nos frangins de Rachid Bouchareb
Esterno Notte de Marco Bellocchio
Dodo de Panos H. Koutras
Irma Vep d’Olivier Assayas (série)
HORS COMPETITION
Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski
Elvis de Baz Luhrmann
Novembre de Cédric Jimenez
Three Thousand Years of Longing de George Miller
Mascarade de Nicolas Bedos
SEANCES DE MINUIT
Hunt de Jung-Jae Lee
Moonage Daydream de Brett Morgan
Fumer fait tousser de Quentin Dupieux
SEANCES SPECIALES
All That Breathes de Shaunak Sen
The Natural History of Estruction de Sergei Loznitsa
Trouble in Mind d’Ethan Coen
UN CERTAIN REGARD
Les Pires de Lise Akoka et Romane Guéret (Premier film)
Kurak Günler d’Emin Alper
Metronom d’Alexandru Belc
Retour à Séoul de Davy Chou
Plan 75 de Hayakawa Chie
Beast de Riley Keough et Gina Gammell
Corsage de Marie Kreutzer
Butterfly vision de Maksim Nkonechnyi
Domingo y la Niebla d’Ariel Escalante Meza
Godland de Hlynur Palmason
Rodeo de Lola Quivoron
The Silent Twins d’Agnieszka Smocynska
Joyland de Saim Sadiq
The Stranger de Thomas M. Wright