Anti-Squat : des marchands de sommeil

Déjà derrière la caméra avec Corporate en 2017, Nicolas Silhol est surtout connu pour être l’auteur du scénario de Les Éblouis de Sarah Suco, ainsi que celui de Sentinelle sud de Mathieu Gérault. Anti-Squat s’attaque à un thème fort, celui de la crise du logement, alors que ce secteur subit une énorme pression locative et une flambée des prix, mettant sur la touche ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir se loger convenablement. Mis en place en 2009, un dispositif permet à des propriétaires de donner la gestion de leurs biens à des organismes publics ou privés, assurant ainsi la sécurité des espaces vacants et des solutions de logements censés apporter une réponse à cette crise durable et précarisante. Seulement, ce que dénonce ce film n’est pas une mesure sociale, mais un véritable scandale où des dirigeants se transforment en profiteurs, des marchands de sommeil profitant de la législation pour élaborer un trafic locatif, au détriment de toute une classe n’ayant pas des moyens financiers suffisants.

Inès et son fils Adam sont menacés d’expulsion. Elle doit à tout prix décrocher un emploi. Pour s’en sortir, elle est prise à l’essai dans une entreprise proposant des logements dans des bureaux vides.

À l’heure où le logement manque, où les demandes explosent, Anti-Squat parle d’un système honteux, la protection par l’occupation, voulant améliorer la situation des mal-logés, alors qu’il privilégie le profit à l’humain.

Ce dispositif, renforcé par l’article 29 de la loi Elan puis par la loi Anti-Squat promulguée en 2023, ne fait qu’accentuer la précarisation et ne propose aucune amélioration, sauf des solutions seulement temporaires pour des centaines de personnes se retrouvant dans une grande difficulté d’accès au logement. Des bureaux vacants servent d’installations pour une courte durée, évitant ainsi la présence de squatteurs, mais devenant presque un hôtel de passage pour ces nombreux résidents. Alors que le gouvernement veut fortement répondre à cette pression de l’immobilier, ce qu’il met en place produit tout à fait le contraire, avec un schéma favorisant les propriétaires, et non les locataires. Anti-Squat parle d’une loi encore très méconnue en France. Peu de Français connaissent l’existence de cette forme de réquisition de ces locaux inutilisés. Si l’ambition initiale de ce dispositif ne souffre d’aucun doute, son application laisse à désirer. En effet, le film de Nicolas Silhol livre une argumentation claire, pointant du doigt un système dysfonctionnel, où les résidents deviennent des victimes d’une organisation dirigée par des marchands de sommeil Moyennant un loyer mensuel de 200 euros, ces sociétés profitent de la situation fragile, n’offrant aucune solution pérenne pour ces locataires soumis à des règles plus contraignantes que positives, avec des droits limités et des possibilités d’expulsions. Très intéressant, Anti-Squat permet d’alerter sur des pratiques, légales mais injustes, augmentant la sinistrose du secteur, et surtout le danger d’exclusion et de pauvreté. L’œuvre raconte les failles d’une structure, avec ces bureaux occupés et cette employée assurant la fonction de concierge, incarnée par Louise Bourgoin. On se retrouve ici face à un schéma où existe une marchandisation du logement, un trafic qui se transforme en pure exploitation.

Film social, où défile une galerie de travailleurs pauvres, Anti-Squat montre à quel point le droit au logement est bafoué, dans un immeuble où tout le monde reste à la merci des propriétaires. Face aux risques de se retrouver à la rue, Inès choisit de privilégier l’intérêt personnel, à celui du collectif.

Le scénario présente cette femme aussi comme une victime de la crise, sous la menace d’une expulsion, décidant de travailler pour assurer son confort et celui de son fils. Il existe alors une similitude entre cette Inès et ces occupants. Cependant, la jeune femme doit faire un choix, certes cornélien, celui de sauver sa peau. Tandis qu’elle s’évertue à appliquer un règlement strict, elle se trouve elle aussi prise au piège de cette loi, encourant le danger de devenir sans-domicile. Pour anticiper une possible catastrophe personnelle et familiale, une décision lourde de sens mais essentielle s’impose, sans doute pleine d’égoïsme, ignorant la notion d’altruisme mais face à une descente aux enfers, que ferions-nous à sa place ? Choisirions-nous de faire un sacrifice ? Le personnage féminin en dit long sur cette farouche détermination à obtenir un travail puis un logement, dans un domaine où prime le chacun pour soi. Inès va loin dans ses prises de position ; toutefois sa fragilité sociale l’oblige à agir ainsi, dédaignant donc les intérêts des autres. Louise Bourgoin trouve un rôle à sa mesure, celui d’une femme que l’on aurait envie de détester copieusement, mais à qui l’on pourrait facilement s’identifier. L’actrice, toujours formidable, excelle dans cette composition d’employée aussi ambiguë qu’antipathique, à l’image de sa prestation dans la série Hippocrate. Anti-Squat n’expose pas un misérabilisme ostentatoire mais décrit avec précision les détails d’un ensemble déstabilisant les plus pauvres et profitant à des sociétés élaborant un schéma d’exploitation, quitte à tirer profit des faiblesses financières et mentales. En bas se trouve la misère, en haut de véritables marchands de sommeil

 

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RÉALISATEUR : Nicolas Silhol
NATIONALITÉ :  France
GENRE : Drame
AVEC : Louise Bourgoin, Samy Belkessa
DURÉE : 1 h 38
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
SORTIE LE 6 septembre 2023