Abel est le premier long métrage du réalisateur kazakh Elzat Eskendir. Il a été présenté en première mondiale au Festival international du film de Busan, avant de poursuivre son parcours dans plusieurs festivals européens et asiatiques, où il a notamment remporté trois prix au Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul.
L’exposition du film s’ouvre sur un texte explicatif qui résume brièvement les prémisses de l’histoire ainsi que le contexte dans lequel elle se déploie : « Après la chute de l’Union soviétique, le Kazakhstan a entamé une transition vers l’économie de marché. Cependant, les réformes ont rapidement dégénéré en une corruption généralisée, entraînant une catastrophe majeure dans le secteur agricole du pays. En 1990, le Kazakhstan comptait 36 millions de moutons, mais après la privatisation massive, ce chiffre est tombé à 10 millions selon les données officielles. Au cœur de ce chaos et de cette impunité, les gens ont commencé à perdre le sens de leur existence. »
Abel, berger et membre d’un collectif agricole de l’ancien État communiste soviétique, se retrouve confronté à la brutalité des nouvelles règles dans un pays fraîchement indépendant — celles d’un capitalisme dominé par des élites profondément corrompues. Ainsi, même dans cette terre oubliée de Dieu où se déroule le récit, la trahison et les épreuves de la vie prennent une dimension tragique, touchant non seulement le protagoniste, mais également l’ensemble de sa famille.
Abel parvient à créer un univers cinématographique d’une finesse et d’une délicatesse remarquables, au point qu’il devient parfois difficile de distinguer la fiction du réalisme quasi documentaire qui traverse le film.
Bien qu’il s’agisse d’un premier long métrage, Abel parvient à créer un univers cinématographique d’une finesse et d’une délicatesse remarquables, au point qu’il devient parfois difficile de distinguer la fiction du réalisme quasi documentaire qui traverse le film. Le réalisateur, en collaboration avec la directrice de la photographie Jolanta Dylewska, parvient à transformer les paysages ternes et arides des steppes kazakhes en un espace purement cinématographique. Dans chaque détail — des plans larges épousant l’horizon infini de cette terre désolée aux mouvements synchronisés des regards des enfants à l’écran — le film trouve une forme d’expression parfaitement maîtrisée, en totale adéquation avec son propos.
Le contenu, en revanche, se révèle d’un réalisme presque trop marqué. Aussi paradoxal que cela puisse paraître dans un monde globalisé, Abel peine à rendre son récit pleinement accessible à un public étranger à la culture kazakhe. Bien qu’il puisse être perçu comme une réussite majeure au sein du cinéma national, ses personnages manquent parfois de l’élément essentiel à l’empathie universelle : leur histoire demeure trop ancrée dans un contexte culturel spécifique pour susciter une identification immédiate. Cela peut toutefois être interprété comme la preuve d’une recherche esthétique cohérente et assumée, même si le film possède par ailleurs toutes les qualités nécessaires pour toucher un public plus large, faisant d’Elzat Eskendir un cinéaste à suivre de près dans ses projets futurs.
En définitive, la succession kaléidoscopique des événements dans Abel construit un discours visuel d’une grande justesse formelle, mais peine à développer pleinement son récit, préférant s’imposer comme un commentaire politique précis plutôt que comme un drame universel. Le film conserve néanmoins une puissance visuelle remarquable et s’impose comme une œuvre incontournable pour les spectateurs sensibles à une esthétique rigoureuse et aux récits qui explorent la solitude croissante face à l’effondrement économique.
RÉALISATEUR : Elzat Eskendir
NATIONALITÉ : Kazakhstan
GENRE : Drame, Famille
AVEC : Erlan Toleutai, Nurzhan Beksultanova, Kaisar Deputat
DURÉE : 2h 00min
DISTRIBUTEUR : Damned Distribution
SORTIE LE 14 janvier 2026


