Madres paralelas (Almodóvar, 2021).
Un monde (presque) sans hommes. Je ne goûte pas plus que ça les films d’Almodóvar, cependant les circonstances de la vie font que je les ai quasiment tous vus au cinoche, depuis Attache-moi ou Talons aiguilles. De par mon grand âge, je me souviens d’ailleurs d’une punchline culte du Maestro dans une interview des Inrocks à l’époque. « Voyez-vous, disait-il, je pesais 70 kilos dans les années 70, 80 dans les années 80, 90 dans les 90. Le futur, que me réserve-t-il ? » À en juger par des photos récentes, il a plutôt l’air d’avoir minci en vieillissant. Enfin bref, pour que le panorama soit complet, sachez que j’avais énormément aimé la Piel que habito, fantaisie hitchcocko-dingue qui avait peut-être offert à Banderas, en chirurgien ivre de vengeance et complètement psychopathe, son plus grand rôle, et en tous cas sa plus grande réplique — Que m’avez-vous fait, lui demandait sa victime inquiète, — Oh rien, une vaginoplastie. De même, admiration devant Julieta et ses deux actrices pour une héroïne. Ce qui fait que j’avais été relativement déçu par Douleur et gloire, dont ce n’est pas tant le nombrilisme que l’esthétique qui m’avait rebuté.
Il m’est arrivé d’avoir la même impression ici — les personnages portent des chaussures affreuses, et pourquoi montrer aussi longuement un écran d’ordinateur sur lequel s’affiche la révélation que tout le monde a captée depuis longtemps ? Mais c’est peut-être que j’avais lu trop de choses sur le film avant d’y aller. Pour continuer dans les réserves et revenir à mon introduction, c’est logique, mais un peu dommage que le personnage masculin, quasiment éjecté de la plus grande partie du film, reprenne de l’importance à la fin — m’a sauté aux yeux un plan bizarre, dans lequel l’angle de la prise de vue fait que ce personnage paraît quelques instants beaucoup plus imposant que Penélope Cruz. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la star est super, mais peut-être quelque chose en ajoutant qu’elle est souvent cadrée en pied, et — oublions une bonne fois pour toutes cette histoire de chaussures, voulez-vous — qu’elle a l’air très menue.
Le film est un mélodrame, et ne déroge pas aux règles édictées par Sirk dans ses chefs-d’œuvre — prenons le Secret magnifique par exemple, votre mari meurt, vos créanciers vous harcèlent, vous perdez la vue, pour couronner le tout, manque de bol, c’est Rock Hudson qui se met en tête de vous courtiser. Même genre d’avanies en série ici. L’artificialité des situations se marie cependant avec profit au contexte historique bien réel — les personnages cherchant à localiser un charnier de l’époque de la guerre civile. À ce titre, j’ai été ému par la dernière image, que j’ai perçue comme un oxymore, un étrange cauchemar apaisé. Un sentiment d’apaisement, c’est d’ailleurs ce que j’ai retenu du film, dont les personnages bons et généreux réussissent à désamorcer un à un tous les conflits. C’est beau et cathartique, et après tout peut-être suffisant pour balayer toutes les critiques. Feelgood movie, eh.