Scum : l’enfer, c’est le borstal

Dans l’histoire de la violence au cinéma, les films anti-carcéraux comme Vol au dessus d’un nid de coucou font partie des films les plus célébrés : dans cette catégorie, on peut aussi distinguer le fabuleux Scum d’Alan Clarke. Deuxième film proposé par l’auteur Pierre Bordage pour sa carte blanche à la 27ème édition de l’Étrange Festival, Scum propose une plongée dans une violence vertigineuse et infinie : celle des institutions pénitentiaires d’une Couronne britannique prête à détruire sans ciller les vies de mineurs pour des crimes sans gravité. Repris en salles en 2015, le film est actuellement disponible dans le catalogue d’Amazon Prime.

Dans l’Angleterre des années 70, trois adolescents sont admis dans un borstal, un centre de détention pour mineurs. Harcèlement des vigiles, sadisme des co-détenus, insultes et dégradations : dans cette prison dont les espoirs de s’en sortir sont mécaniquement brisés, ils y connaîtront l’enfer sur terre.

D’une violence aussi abyssale que nécessaire, Alan Clarke propose dans Scum une froide et réaliste analyse de la monstruosité d’une institution carcérale qui, chaque jour, dégage des profits en détruisant méthodiquement les corps et les esprits de mineurs déviants. Le regard braqué sur cette monstruosité sans fin, Scum trouve dans son honnêteté brutale et sans compromis la force d’un film politique aussi enragé que cynique, qui ne laissera aucun spectateur indemne

Construit mécaniquement comme un outil de torture, Scum est d’autant plus brillant qu’il devient chaque instant plus violent, d’autant plus réussi que chaque scène est plus sadique que celle qui la précède. Car Alan Clarke ne nous épargne aucune souffrance : châtiments corporels, viols, mutilations, harcèlement, insultes, toute la violence du monde se révèle devant la caméra du réalisateur. Optant pour un réalisme froid et une mise en scène simple, ne détournant jamais la caméra de l’horreur, Alan Clarke bloque notre regard sur une part de l’invisible de nos sociétés, sur les violences intolérables cachées dans ces institutions opaques où l’on enferme des mineurs loin des regards de l’opinion publique. Braquant l’objectif sur toute la violence du monde, Scum fait comme l’inventaire de toutes les horreurs imaginables, où la monstruosité des uns répond au sadisme des autres dans un écho infini de souffrance.

Mais Scum est loin de n’être qu’un déchaînement de violence gratuite. Non, Alan Clarke déchaîne toute cette violence avec une idée claire de ses causes. Critique sans aucun compromis de l’institution pénitentiaire britannique, où la morale du rachat par le travail fait écho à la morale très anglicaine du rachat par la pénitence auprès de Dieu, où des enfants aux crimes bien légers sont transformés en véritable monstres par des représentants sans cœur du pouvoir de la Couronne, Scum ne tait pas un instant l’origine de la monstruosité qui germe dans les geôles de l’État. Une critique filée dans le film à la fois par la voix de ses personnages, comme le végétarien effronté Archer, mais plus encore par une analyse fine de l’exercice des rapports de domination, consciente d’à quel point ce sombre visage de l’État britannique repose sur un racisme, une virilité abusive et une exploitation de l’autre poussés à leur paroxysme. Dans cet enfer où les institutions de l’État montrent leur aspect le plus inhumain, où les geôliers s’efforcent de briser et d’isoler chacun en aggravant chaque fois leurs atrocités, est-il encore possible de rester humain ? Alan Clarke dira que oui, dans une séquence finale aussi monstrueuse que désespérée : pour ceux qu’on prive chaque jour de leur humanité, il ne reste plus que l’émeute – quand bien même celle-ci devrait être matée. Une fin qui confine au cynisme des plus amers, mais qui laissera le spectateur avec une intime conviction : celle de l’impardonnable monstruosité de la prison.

D’une violence aussi abyssale que nécessaire, Alan Clarke propose dans Scum une froide et réaliste analyse de la monstruosité d’une institution carcérale qui, chaque jour, dégage des profits en détruisant méthodiquement les corps et les esprits de mineurs déviants. Le regard braqué sur cette monstruosité sans fin, Scum trouve dans son honnêteté brutale et sans compromis la force d’un film politique aussi enragé que cynique, qui ne laissera aucun spectateur indemne. Un excellent film anti-carcéral, qui encore aujourd’hui n’a pas pris une ride.

4.5

RÉALISATEUR : Alan Clarke
NATIONALITÉ : Britannique
AVEC : Ray Winstone, Mick Ford, Julian Firth
GENRE : Drame
DURÉE : 1h38
DISTRIBUTEUR : Solaris Films
SORTIE LE