1982, Steven Spielberg a 36 ans, et, après la terreur du requin blanc sorti de l’océan pour dévorer les humains (Les Dents de la mer en 1975), l’arrivée d’aliens sortis de l’espace de leur soucoupe volante (Rencontres du troisième type en 1977), c’est au tour d’un extra-terrestre attendrissant de devenir une star plus réputée encore que n’importe quelle autre étoile humaine de chair et d’os. Ce depuis plus de quarante ans. Ce pour notre plus grand plaisir, notre souvenir, notre doudou éternel (en ce qui me concerne j’avais acheté sa peluche !) : il s’appelle E.T. Pourtant, le film de notre héros ne s’apparente qu’à une sorte de buddy movie tourné du côté de la science-fiction, le pote du duo de copains étant une créature perdue sur la Terre. En effet, le film raconte la rencontre et le lien qui se créent entre Elliott – interprété par Henry Thomas et dont l’incarnation et la naïveté ne sont pas sans faire penser à Gabriel LaBelle interprétant Sammy soit Steven Spielberg lui-même dans sa dernière œuvre autobiographique, The Fabelmans –, la dizaine au milieu de sa fratrie de trois enfants sans leur papa, et E.T., arrivé et découvert par lui dans sa banlieue américaine, où ce dernier s’ennuyait quelque peu… entre enfants ou adultes, isolé qu’il était, à attendre que quelque chose se passe. Qui se passe et pas des moindres ! S’en suivront la protection de l’extra- humain E.T. tel que la petite sœur Gertie (Drew Barrymore devenue célèbre) l’a nommé, avec qui Elliott entrera en osmose (physique et psychique), son apprentissage du langage humain, car il parvient à (nous) comprendre et à (se) faire comprendre, le récit de ses (nos) expériences humaines (telles un Halloween), sa maladie, sa récupération par le gouvernement. Entre les rires et les larmes successifs évoqués par les situations dans lesquelles se trouve E.T. et le fait que le spectateur puisse s’identifier tour à tour au petit monstre ou à son protecteur, c’est un happy end comme sait les faire le cinéaste, car on ne casse pas les rêves d’enfant (de réalisateur !) comme ça : ressuscité de la mort, le cœur rouge et battant, l’index lumineux et protecteur, notre bébé à tous finira par s’envoler vers ses cieux familiers sous le regard et les larmes de tous ceux qui l’ont côtoyé…
Preuve de la force de son cinéma et de fonction de cinéaste au monde, E.T. c’est lui, et comme avait dit Isidore Ducasse dit le comte de Lautréamont en surréaliste de son temps, le film est « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie… » et marque(ra) les temps, E.T.ernellement…
En faisant la part belle à l’imaginaire, à la manière d’un conte, à faire que l’alien (s’) illumine le cœur des enfants (mais pas que), E.T. l’extra-terrestre pose d’abord les non-limites du pouvoir : pouvoir d’un cinéaste d’abord avec sa capacité à renouveler le genre de la science-fiction et les films d’aliens avec leurs types destructeurs attendus, en leur attribuant ici une fonction thérapeutique et non conflictuelle : « pacifiction » ! ; pouvoir des enfants, qui si on le connaissait déjà en opposition à celui des adultes, vient montrer comment ils peuvent se désolidariser de leurs modèles familiaux : déculpabilisation ; pouvoir du cinéma enfin, capable de démultiplier ses effets (et déjà ses budgets) pour fabriquer trois animatroniques, faits de costumes de 20 kilos, interprétés par des acteurs pas comme les autres (l’acteur Pat Bilon mesurant 86 cm ou le mime Caprice Roth pour l’usage de ses mains dans des gants imitant la peau d’E.T.). On peut d’ailleurs rappeler, pour la petite histoire et la Grande du coup, que les designers se sont inspirés du scientifique Albert Einstein ou du poète Cat Sandburgh : pouvoir évocateur donc et prompt à nous rendre un Autre plus proche et familier qu’un des nôtres… Cette nouvelle vision de l’extra-terrestre comme la nouvelle vision de l’attitude humaine, le premier perdant sa famille, le second ne possédant pas de modèle paternel, et alors que ce sont deux mâles, est déjà une manière de parler des hommes autrement : si Keys (Peter Coyote) joue le rôle du méchant, même en hors-champ avec pour symbole ses clés, les jeunes enfants ici ne cherchent pas à imiter ceux qui jouent aux grands en faisant la guerre, en surveillant, en faisant peur à ceux qu’ils craignent mais ils se retrouvent, naïvement, humainement, simplement à protéger un Autre, et à faire preuve de tendresse. Steven Spielberg a montré tout au long de sa carrière qu’il était un cinéaste placé du côté des bons et beaux sentiments – tout à fait bibliques au passage, notamment avec l’affiche et sa reprise du tableau de la création d’Adam par Michel-Ange –, luttant à sa manière contre toute forme de racisme ordinaire, et il vient, avec E.T. l’extra-terrestre, faire vivre des attitudes et éprouver des sentiments en voie de disparition : la découverte, la rencontre, la différence, l’innocence et le caractère bienfaiteur pour lutter contre les comportements discriminants s’érigent contre le rejet, la peur, la propagande, la supériorité et le caractère prédateur qui s’en suit – même si les enfants n’échappent pas à la possession et indirectement à la surveillance en enfermant leur trésor. Mais comment ne pas préserver ce trésor trouvé, notre petit trésor à tous, car il nous fait nous souvenir de nos secrets enfantins les plus inavoués? Jeu sur le passé et le futur, ce qui existe encore et ce qu’on a perdu, pour quel discours ? – limiter la violence – : rappelons aussi que Steven Spielberg lui-même a fait machine arrière avec l’usage des talkies-walkies que tenaient les policiers à la recherche de l’alien perdu à la place d’armes (des pistolets) qui réintègreront l’image dans l’édition du Blu-ray, des choses qui restent, d’autres qui partent tels ces objets d’un autre temps. C’est qu’à la logique du film américain était aussi venue répondre la logique affective : comment des adultes pourraient-ils braquer leurs armes sur des enfants ? Pourtant, contre une image qui fait s’envoler vers le ciel à pleine lune un enfant sur son vélo, aucune arme ne peut rien… Pour la petite histoire encore, on peut rappeler que le travail de création de la scène d’envol entre Elliott et E.T. devenue mémorable, fut un casse-tête, ce malgré l’usage d’effets spéciaux : trouver le bon spot pour capturer une pleine lune la plus proche de la Terre tout en juxtaposant les images sur le vélo de l’enfant. L’image figurera finalement le logo d’Amblin Entertainment,la société de production de Steven Spielberg, c’est bien l’histoire d’une madeleine, d’une continuité, celle de nos années, passées à se remémorer non pas combien c’était mieux avant mais comment aujourd’hui et demain peuvent s’inspirer du bon vieux temps, de sa joie et faire du cinéma, même quarante plus tard, toujours un recommencement.
E.T. l’extra-terrestre a été en effet remis à l’honneur, grand bien lui a fait, lors de son arrivée sur Netflix, fin 2020, une histoire de COVID : c’est encore pas mal de la part d’un film réalisé tant d’années plus tôt d’évoquer autant de définitions du confinement sans le vouloir ! En effet, c’est d’abord l’histoire du confinement d’une créature, dans un espace qui n’est pas le sien avant d’être confinée dans un placard pour lui éviter de se faire capturer (virussé ?), quand sont inversement montrés comme confinés des esprits incapables de tolérer un extra-terrestre inoffensif, ou déconfinés dans le cas des enfants qui tentent, eux, de se rapprocher d’un être qui n’est pourtant en rien l’un des leurs, et d’en faire un ami, de lui apprendre à parler et de l’aider à retrouver les siens… Solidarité. La question de l’enfermement jusqu’à l’emprisonnement a toujours été présente dans le cinéma de Steven Spielberg, et, comble du comble, il choisit, dès son plus jeune âge, d’enfermer à son tour les images qui passent devant ses yeux ou dans sa tête, dans une boîte noire, sauf que, par chance, celle-ci vivra la reproductibilité… devenant presque infinie ou éternelle, au choix. Cette question de l’étendue temporelle trouve aussi son répondant dans celle des territoires (eux-mêmes renvoyant aux classes sociales, origines, identités), déjà présente dans le film, ne serait-ce que par l’opposition des topos Terre/Cosmos, que le cinéaste tente de relier : même si on reste prisonnier de nos souvenirs et des émotions qui y sont liées, comment ne pas garder la phrase d’E.T. s’envolant vers chez lui « je suis toujours là ? » à l’esprit ? Territoires d’images, passant par le visuel comme le sonore, au titre de la réminiscence encore. Et, toujours là, c’est encore George Lucas qui, dans l’épisode 1 de Star Wars, La Menace Fantôme, intégrait, 17 ans plus tard, des aliens à l’image d’E.T. dans une scène se situant au cœur d’un Sénat galactique ! Alors on peut se demander ce qui fait que les films de Steven Spielberg, on les aime, et particulièrement celui dans lequel un Autre que nous-mêmes s’est perdu sur la planète Terre : ne serait-ce pas une des questions primordiales dans la réception du cinéma que celle de l’identification ? à nous faire aussi nous questionner sur notre identité… Qui serait au fond l’extra-terrestre ? E.T, Elliott au sein de sa propre famille, chacun d’entre nous, ou bien même le cinéaste lui-même : venu d’ailleurs, passé sur Terre, toujours en partance vers d’autres territoires d’images, d’autres mondes à remonter le temps ou à faire surgir le futur, son « épopée minuscule », comme Steven Spielberg avait caractérisé lui-même son film, devenue grande aujourd’hui eu égard à l’œuvre accomplie, a rendu éternel E.T., même parti dans son cosmos infini ! Mieux que l’identification, la conscience, c’est que le cinéaste avait déjà bien compris que la Nature, il fallait la chérir plutôt que de la détruire, comme il avait prédit que la nature humaine avait bien moins à conquérir que de s’enrichir auprès de ceux qui ne sont pourtant pas elle. Preuve de la force de son cinéma et de fonction de cinéaste au monde, E.T. c’est lui, et comme avait dit Isidore Ducasse dit le comte de Lautréamont en surréaliste de son temps, le film est « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie… » et marque(ra) les temps, E.T.ernellement…
RÉALISATEUR : Steven Spielberg
NATIONALITÉ : américaine
GENRE : aventure, science-fiction
AVEC : Henry Thomas, Drew Barrymore, Dee Wallace, Peter Coyote
DURÉE : 2h
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 1er décembre 1982


