Jackie : la Dame de coeur

Jackie, biopic de Jacqueline Kennedy, était un projet de Darren Aronofsky qu’il voulait offrir à sa compagne de l’époque, Rachel Weisz, qui présente en effet une ressemblance assez étonnante avec l’ex-Première Dame des Etats-Unis. Mais le temps a passé; et Rachel a quitté Darren pour Daniel Craig. Pour des raisons compréhensibles, Darren Aronofsky ne souhaitait donc plus mettre en scène ce film mais est néanmoins resté dans le projet, afin de le produire. Jackie a donc fini par atterrir dans l’escarcelle de Pablo Larraín qui, après la réussite de Neruda, semble se spécialiser dans les biopics ou plutôt les antibiopics. Car Jackie ne présente aucune des caractéristiques des biopics conventionnels.

Rétroactivement, on peine à concevoir ce que Darren Aronofksy aurait pu trouver dans le projet de Jackie. A priori rien ne ressemble moins à l’oeuvre de Darren Aronofsky : pas de description sociale (Requiem for a dream, The Wrestler) à l’horizon, pas de représentation onirique ou légendaire de science-fiction et de fantastique (The Fountain, Black Swan). Le seul point commun avec ses précédents films, c’est que Jackie Kennedy est aussi un être fracassé, mais de l’intérieur, faisant son possible pour donner le change, en présentant une image de veuve digne et courageuse, alors qu’elle est sur le point de s’écrouler à chaque seconde.

Jackie est une très belle oeuvre, un peu froide, sur le destin d’une nouvelle Andromaque, une sorte de valse lente et funèbre qui choisit de ne pas sortir d’une réserve digne et de ne pas dévoiler tous ses secrets

C’est sans doute le point de vue que Aronofsky aurait choisi et privilégié ;. Celui de Larraín consiste à détourner le biopic en refusant la convention de raconter une vie du début jusqu’à la mort, et en concentrant l’essentiel du récit sur les trois jours qui ont suivi l »assassinat de John Fitzgerald Kennedy à Dallas. En cela, Larraín reste fidèle à son souhait de filmer un anti-biopic de Jackie Kennedy. Le film est même étonnamment complexe car en plus de la ligne principale des trois jours, s’entremêlent au moins trois lignes temporelles différentes : 1) lorsque Jackie présente en 1962 la Maison-Blanche à une équipe de télévision ; 2) lorsqu’elle reçoit le journaliste Theodeore H. White (Billy Crudup) une semaine après la mort de son mari, afin de lui commander un article sur JFK pour le magazine Life ; 3) enfin quand, en quête de réconfort moral, elle se confie quelques jours plus tard à un prêtre (John Hurt).

La construction scénaristique, extrêmement brillante, impressionne. Larraín parvient à dresser un portrait cubiste ou pointilliste de la Première Dame des Etats-Unis, sans jamais perdre le spectateur dans ces méandres temporels. Cependant l’accent mis sur la structure formelle de l’oeuvre est peut-être excessif et a tendance à étouffer l’émotion qui semblerait pouvoir être convoquée par l’intensité du drame vécu. Alors que tout paraît pouvoir et devoir nous émouvoir au plus haut point (le portrait d’une veuve à un moment où l’Histoire semble vaciller), l’émotion est mise à distance et volontairement laissée en retrait par Larraín.

Natalie Portman, absolument bluffante dans sa manière de modeler son apparence et surtout sa voix devenue méconnaissable sur celle de Jackie Kennedy, n’est pas du tout en cause mais Larraín ne lui permet en fait que de jouer d’une seule tonalité ; pendant tout le film, celle de la veuve dépressive et éplorée. Car le récit, fait en grande partie en voix off par Jackie, ne surprend véritablement jamais. Lorsque l’émotion est enfin convoquée, cela demeure très visible, en particulier quand Jackie s’interroge sur le sens de sa vie et de la vie en général, n’échappant pas à la banalité des remords et des clichés pseudo-philosophiques. Il n’en reste pas moins que Jackie est une trés belle oeuvre, un peu froide, sur le destin d’une nouvelle Andromaque, qui ressemble à sa musique remarquable et mystérieuse, composée par Mica Levi (Under the skin), une sorte de valse lente et funèbre qui choisit de ne pas sortir d’une réserve digne et de ne pas dévoiler tous ses secrets.

4

RÉALISATEUR : Pablo Larraín
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : biopic, drame 
AVEC : Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig
DURÉE : 1h40 
DISTRIBUTEUR : Bac Films 
SORTIE LE 1er février 2017