Après Jeunesse (Le Printemps), sélectionné en compétition au Festival de Cannes en 2023 et Jeunesse (Les Tourments), sorti en avril dernier, Wang Bing nous propose logiquement le dernier volet de sa trilogie du textile, Jeunesse (Retour au pays), sélectionné à la Mostra de Venise en 2024. L’ensemble est impressionnant de maitrise cinématographique et constitue un témoignage édifiant et émouvant sur les conditions de vie d’une partie de la classe ouvrière chinoise. Il prouve surtout, une fois encore, que son auteur est l’un des plus grands documentaristes en activité, cette fresque (de près de 10h) prenant sa place aux côtés des autres œuvres monumentales qu’il a signées par le passé, tel le sublime A l’Ouest des rails (son premier long métrage).
L’ensemble est impressionnant de maitrise cinématographique et constitue un témoignage édifiant et émouvant sur les conditions de vie d’une partie de la classe ouvrière chinoise.
Le Nouvel An approche et les ateliers textiles de Zhili sont quasi-déserts. Les quelques ouvriers qui restent peinent à se faire payer avant de partir. Des rives du Yangtze aux montagnes du Yunnan, tout le monde rentre célébrer la nouvelle année dans sa ville natale. Pour Shi Wei, c’est aussi l’occasion de se marier, ainsi que pour Fang Lingping. Son mari, ancien informaticien, devra la suivre à Zhili après la cérémonie. L’apprentissage est rude mais ne freine pas l’avènement d’une nouvelle génération d’ouvriers.
En ce sens, cet épisode final diffère donc des deux autres qui choisissaient de s’attarder davantage sur les lieux de travail et les dortoirs, excepté à la toute fin où on voyait certains d’entre eux regagner leur province.
Retour au pays, comme son nom l’indique, s’intéresse certes toujours aux travailleurs et travailleuses des ateliers de confection de la cité de Zhili mais essentiellement au retour dans leur ville natale au sein de leur famille (le voyage est d’ailleurs particulièrement risqué sur des routes montagneuses étroites, comme en atteste une scène assez incroyable, filmée à l’intérieur d’un véhicule). En ce sens, cet épisode final diffère donc des deux autres qui choisissaient de s’attarder davantage sur les lieux de travail et les dortoirs, excepté à la toute fin où on voyait certains d’entre eux regagner leur province. C’est l’occasion pour le spectateur de découvrir, au bout de trente minutes (les premières scènes se situant en effet dans les ateliers), les paysages enneigés de la province du Yunnan ou les abords du fleuve Yangtze (Province de l’Anhui), des horizons bien plus larges que celui offert par les usines en milieu urbain et leurs couloirs, ainsi que des célébrations typiques des villages et dont le film regorge : noces, anniversaires, fêtes du Nouvel An ou encore des cérémonies religieuses par lesquelles on rend hommage à diverses divinités chinoises. C’est le cas notamment de la longue scène centrale de mariage, extrêmement joyeuse mais qui ne masque pas pour autant les difficultés et la rugosité de l’existence dans ce monde rural qui semble ne pas avoir bougé depuis des décennies.
Ainsi, si Wang Bing semble opter pour un ton plus « joyeux », en tout cas moins désespéré que dans la deuxième partie intitulée à juste titre Les Tourments, son regard reste très pertinent sur cette jeunesse sacrifiée
Ainsi, si Wang Bing semble opter pour un ton plus « joyeux », en tout cas moins désespéré que dans la deuxième partie intitulée à juste titre Les Tourments, son regard reste très pertinent sur cette jeunesse sacrifiée, à l’avenir plus qu’incertain, contrastant avec le modèle de réussite et de croissance chinois vanté ici ou là pendant de nombreuses années et confrontée à la réalité sociale la plus brutale qui soit. La chaleur et la générosité de ces « petites gens » qu’il réussit à capter avec sa caméra se double d’une certaine amertume et même d’une vraie mélancolie. Alors que les séquences en groupe sont nombreuses, on ne peut qu’être touché, ému par des moments plus calmes, où certains protagonistes se retrouvent seuls, isolés (à l’image de la dernière séquence du long métrage : un ouvrier seul devant la machine à coudre) et d’autres confessent avec difficulté leur hésitation à quitter leur famille. L’autre mérite du cinéaste est d’avoir su tisser des liens quasi intimes avec celles et ceux qu’ils filment et qui ont accepté le projet. D’ailleurs, ils ne sont pas des anonymes, puisque Wang Bing choisit de mentionner leurs noms et leurs âges à l’écran. Il les remercie chaleureusement dans le générique final, louant leur courage et leur vitalité.
Tel un cycle qui se reproduit (et qui serait légèrement perturbé), la toute dernière partie déroge à la règle que le titre du film semblait s’être fixé : nous voici, à nouveau, plongé dans les ateliers de Zhili avec un aller-retour dans la maison de Lin Shao. Idée surprenante mais qui montre aussi que chaque élément de ce triptyque n’est en rien répétitif car traversé par des questions précises, y compris celles purement cinématographiques (il est à noter également que ce segment est le plus court des trois). Ainsi, Jeunesse (Retour au pays) vient clore de la plus belle des façons une œuvre majeure du cinéma documentaire (et du cinéma tout court), un travail de longue haleine (un tournage de près de cinq ans), une sorte de célébration bienveillante mais lucide de toutes ces « petites mains » en Chine.
RÉALISATEUR : Wang Bing NATIONALITÉS : Luxembourg, France, Pays-Bas GENRE : Fresque documentaire AVEC : les ouvriers de Zhili DURÉE : 2h32 DISTRIBUTEUR : Les Acacias SORTIE LE 9 juillet 2025