Mais où s’arrêtera la superstar américaine Scarlett Johansson ? Nommée Meilleure actrice en 2004 pour Lost in Translation aux BAFTA Awards, multi-citée dans les plus grandes compétitions de cinéma comme les Oscars et les Golden Globes (pour Marriage story, La jeune fille à la perle, Love song…), c’est son premier long-métrage, Eleanor the great, qu’elle présentait dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes. Un coup d’essai lumineux, questionnant la violence des souvenirs de l’holocauste, mais surtout nos deuils enfouis, entre éclats de rire et profondeur des émotions.
Eleanor Morgenstein, 94 ans, tente de reconstruire sa vie après la mort de sa meilleure amie, Bessie, avec qui elle vivait en colocation sous le soleil de Floride. Elle doit retourner à New York, chez sa fille et son petit-fils, après une décennie de vie commune heureuse. Confrontée à la solitude, la vieille femme à l’humour décapant intègre dans un malentendu un groupe de soutien pour survivants de la Shoah. Elle prétend alors avoir vécu ce traumatisme dans sa chair, et c’est l’histoire intime et secrète de son amie Bessie qu’elle dévoile au grand jour. Un petit mensonge qui en engendrera de bien plus gros.
L’actrice américaine June Squibb porte sur ses épaules avec drôlerie et force le personnage si complexe d’Eleanor Morgenstein.
Eleanor the great porte, avant toute chose, merveilleusement bien son nom. Dans un magnifique rôle, comme écrit pour elle, l’actrice américaine June Squibb (révélée tardivement et nommée à l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 2014 pour Nebraska d’Alexander Payne) soutient sur ses épaules avec drôlerie et force le personnage si complexe d’Eleanor Morgenstein. Franche et caustique à en être dérangeante, animée par une fougue de jeunesse inébranlée (elle mentionne par exemple son attrait pour la sexualité, qui ne se perd pas forcément avec l’âge) et un brin mythomane quand il le faut, le personnage met en valeur comme rarement au cinéma une nonagénaire. À côté, ses partenaires de jeu (dont son jeune binôme Erin Kellyman, en jeune apprentie journaliste touchée elle aussi par un deuil récent), pourtant tous parfaits, s’effacent avec douceur et lui déroulent un tapis rouge.
Mais le tour de main de la désormais réalisatrice Scarlett Johansson ne s’arrête pas à son casting, loin s’en faut. Ainsi, c’est tout en humour et délicatesse que le scénario surfe sur les mensonges à effet boule de neige d’Eleanor. D’abord interviewée pour un simple travail de classe par Nina, la nonagénaire finira par demander à faire sa bat-mitsva, sous prétexte qu’elle n’a pas pu la faire à l’âge requis à cause du traumatisme vécu… Dans une scène délicieuse, Eleanor se retrouve alors avec le rabbin qui, par hasard, lui fait la lecture d’un passage de la Torah : l’épisode où Jacob usurpe l’identité de son frère Ésaü…
Si récemment le rapport à la Shoah et à sa mémoire brûlante a fait le thème de grands films (comme A Real Pain de Jesse Eisenberg ou encore Voyage avec mon père de Julia von Heinz) le scénario d’Eleanor the great défie les habitudes. Voilà l’histoire d’une femme de 94 ans, certes juive mais qui n’a rien d’une rescapée de la Shoah, et qui, en relatant ce que sa complice d’une vie lui avait à elle seule confié à un âge avancé (son évasion d’un train en partance pour un camp nazi et la perte de sa mère et de son frère ce jour-là) permet de questionner tous les deuils et les douleurs que nous cachons et refoulons toutes et tous à notre échelle. Sa nouvelle jeune amie Nina n’avait jamais parlé de sa mère à personne, décédée il y a six mois, avant sa rencontre fortuite avec Eleanor. Et le père de celle-ci, journaliste star de New York, s’est encore plus enfermé dans un déni mutique.
On pourrait se dire que le film tire un peu trop sur la corde des bons sentiments, mais ce serait se gâcher le plaisir. Il faut rire de bon cœur à tous les bons mots d’Eleanor, ses mimiques, toute cette honnêteté et joie de vivre qui ressort d’elle malgré les épreuves de la vie, et accepter de se laisser emporter par les dernières scènes qui jouent sans honte la carte de l’émotion. Le tout est enveloppé dans une aura filmique magnifique, colorée. Une belle ritournelle qui n’est rien d’autre qu’une ode à la vie. Et nous fait dire qu’il serait dommage que Johansson s’arrête à ce premier essai.
RÉALISATRICE : Scarlett Johansson NATIONALITÉ : Américaine GENRE : Comédie dramatique AVEC : June Squibb, Erin Kellyman, Chiwetel Ejiofor, Jessica Hecht DURÉE : 1h 38min DISTRIBUTEUR : Sony Pictures Entertainment SORTIE LE Date inconnue