Avec son troisième long métrage en tant que cinéaste, Hafsia Herzi a prouvé qu’elle avait bien mérité sa présence dans la Compétition cannoise. La Petite dernière est une œuvre émouvante et maîtrisée qui confirme de manière éclatante ses talents de réalisatrice après Tu mérites un amour et Bonne mère qui avaient été sélectionnés respectivement à la Semaine de la Critique en 2019 et à Un Certain Regard en 2021.
Fatima, dix-sept ans, est la petite dernière. Elle vit en banlieue avec ses sœurs, dans une famille joyeuse et aimante. Bonne élève, elle intègre une faculté de philosophie à Paris et découvre un tout nouveau monde. Alors que débute sa vie de jeune femme, elle s’émancipe de sa famille et ses traditions. Fatima se met alors à questionner son identité. Comment concilier sa foi avec ses désirs naissants ?
La Petite dernière aborde avec une grande sensibilité et une belle délicatesse l’émancipation d’une jeune musulmane en classe de Terminale qui a du mal à assumer son homosexualité
Adapté du roman éponyme de Fatima Daas, mais s’inscrivant pleinement dans l’univers de la jeune réalisatrice, La Petite dernière aborde avec une grande sensibilité et une belle délicatesse l’émancipation d’une jeune musulmane en classe de Terminale qui a du mal à assumer son homosexualité, notamment auprès de sa famille. Un tel canevas aurait pu accoucher d’une œuvre mièvre et dégoulinante de bons sentiments, or, il n’en est rien. Grâce à un sens du cadre remarquable, et un recours quasi systématique aux gros plans, Hafsia Herzi colle au plus près de sa protagoniste principale, captant ses réactions et ses sentiments les plus profonds, tout ce qui n’est pas (ne peut pas être) verbalisé. En effet, il est bien difficile pour Fatima d’évoquer son homosexualité face à un entourage très réticent voire peu enclin à l’accepter. C’est tout le sens d’ailleurs des premières scènes du film : des discussions entre copains et copines du lycée qui témoignent d’un certain manque d’ouverture (surtout des garçons), dans les discours mais aussi dans les actes puisqu’ils prennent à partie l’un de leur camarade de classe. Fatima, par crainte d’être découverte, se positionne de leur côté et fréquente même un jeune homme. Cependant, tout comme Fatima le sait bien et le ressent, le spectateur comprend qu’elle est attirée par les filles. Il faut préciser ici que le portrait de cette jeune femme en pleine construction d’identité est finement ciselé, si elle n’ose pas affirmer sa tendance à ses proches, elle n’hésite pas, pour autant, à prendre des initiatives : contacter des femmes sur un site de rencontres, aller à des rendez-vous, prendre des conseils d’une lesbienne expérimentée, fréquenter certains lieux parisiens (on reconnaît par exemple un établissement situé dans le parc des Buttes-Chaumont) et surtout vivre une grande histoire d’amour avec une infirmière d’origine coréenne. Par tous ses détails, une caméra toujours située à la bonne distance ainsi que des choix de montage judicieux sans être racoleurs, La Petite dernière confirme qu’Hafsia Herzi est bien une vraie cinéaste (influencée par les cinéastes pour lesquels elle a tourné, comme Kechiche) doublée d’une excellente directrice d’actrices. A ce stade, il convient d’évoquer la performance remarquable de Nadia Melliti, ex-footballeuse, repérée lors d’un casting sauvage. Elle incarne magnifiquement et dignement un personnage tout en nuances.
Si le long métrage bouleverse autant, c’est parce que chaque individu est observé, décrit avec beaucoup de tendresse, sans jugement et dans toute sa complexité
Si le long métrage bouleverse autant, c’est parce que chaque individu est observé, décrit avec beaucoup de tendresse, sans jugement et dans toute sa complexité : c’est le cas du père de Fatima, mais aussi et surtout de ses sœurs ou de sa mère. L’une des plus belles scènes de La Petite dernière est justement une discussion entre Fatima et sa mère, à table : alors que la jeune femme essaye d’évoquer sa sexualité et finit par tomber en larmes, sa mère lui explique, le plus simplement du monde, qu’elle sera toujours là pour elle. De plus, et c’est bien entendu l’une de ses forces, Herzi n’utilise aucune des ficèles habituelles associées à ce genre de film : pas de hurlements, de scènes de bagarre, ni de drogue ou un quelconque déterminisme social (la famille de Fatima est aimante, équilibrée ; elle-même travaille bien et obtient son baccalauréat). Les nuances remplacent les caricatures habituelles et évitent au film de tomber dans le piège de la facilité.
De plus, et c’est bien entendu l’une de ses forces, Herzi n’utilise aucune des ficèles habituelles associées à ce genre de film
En définitive, cette œuvre est une belle et franche réussite, sensible et lumineuse, célébrant la vie et le désir, faisant parfois penser à La Vie d’Adèle mais avec un regard plus féminin. Sans céder au jeu des pronostics cannois, on souhaite toutefois à La Petite dernière de figurer en bonne place au palmarès, cela serait amplement mérité.
RÉALISATEUR : Hafsia Herzi NATIONALITÉ : France, Allemagne GENRE : Drame AVEC : Nadia Melliti, Ji-Min Park, Louis Memmi DURÉE : 1h46 DISTRIBUTEUR : Ad Vitam SORTIE LE 1er octobre 2025