Requiem for a dream : une superbe édition collector pour un film obsédant

Tous ceux qui ont vu Requiem for a dream ne l’ont jamais oublié, quoi qu’ils aient pu en penser. Le film de Darren Aronofsky a entre autres qualités celle de ne pas laisser indifférent, tant sa mise en scène s’apparente à un électrochoc, pour certains, excessif, pour d’autres salutaire. Or ce film culte des années 2000 n’était plus disponible depuis longtemps, épuisé dans les magasins culturels. Une réédition s’imposait : Bubbel’ Pop n’y est pas allé par quatre chemins en produisant une édition collector – 4K Ultra HD + Blu-ray, Digipak limitée à 2000 exemplaires. Comme pour Recherche Susan désespérément, il n’y en aura pas pour tout le monde, Cette édition très complète est idéale pour se replonger dans le film qui est resté tout aussi clivant qu’à sa sortie.

Dans le cadre d’une rétrospective à la Cinémathèque, le film est ressorti en salle le 9 avril 2025 puis a donc droit à cette édition vidéo qu’on pourrait presque qualifier de définitive, tant le film resplendit en qualité 4K Ultra HD et les bonus vidéo prolifèrent, accompagnés d’un bouquin exclusif de 90 pages, Dans l’oeil du cyclone, composé d’un entretien de Darren Aronofsky avec Samuel Blumenfeld, journaliste au Monde, et d’un essai sur le film, rédigé par Jacques Demange, critique à Positif.

Cette édition collector, précédée par une rétrospective à la Cinémathèque, est sans doute le premier jalon pour la reconnaissance critique et publique de Darren Aronofsky, auteur sans concessions et metteur en scène exceptionnel.

Dans un entretien-fleuve d’une trentaine de pages, Darren Aronofsky revient donc sur son parcours d’enfant de New York, d’étudiant à Harvard, et d’apprenti cinéaste, avec le recul de celui qui a désormais neuf films à son compteur (son prochain film Caught stealing, tourné comme Requiem for a dream à New York, sortira à la fin août 2025). C’est en effet une interview récente que Samuel Blumenfeld a eu la chance de mener avec Darren Aronofsky, entretien rétrospectif qui permet à Aronofsky de mettre en lumière les sources et les inspirations de Requiem for a dream. On apprend ainsi que beaucoup des inspirations visuelles d’Aronofsky viennent de l’architecture magnifique de Coney Island, lieu où prend place l’action de Requiem for a dream. En parlant de ses études de cinéma, il indique au détour d’une phrase : « j’ai révélé un talent pour le montage« . Or, en effet, l’une des grandes caractéristiques de Requiem, c’est son montage virtuose, à une époque où le montage numérique ne s’était pas encore imposé partout.

Enfin, information fondamentale, Aronofsky révèle: « je fais le film à cause de la vieille dame. Les gamins m’intéressent moins. Il n’y aurait qu’eux, le film ne m’intéresserait pas. Ils existent pour éclairer le personnage d’Ellen Burstyn« . Quelques lignes plus tard, il surenchérit au sujet de la confrontation entre Jared Leto et Ellen Burstyn : « j’ai fait Requiem pour cette seule scène. Elle constitue le coeur du film. Ce fut une journée difficile lorsque nous l’avons tournée. La performance d’Ellen Burstyn est exceptionnelle. Elle entre dans une zone que je pensais inimaginable pour un comédien; Je fais des films pour cette raison, pour que des acteurs atteignent cette dimension. » Contrairement à l’image d’un Aronofsky auteur, imposant ses thématiques et obsessions, on le découvre en fait au service de ses acteurs, espérant voir s’accomplir le miracle de l’incarnation. Or c’est à l’évidence Requiem for a dream qui a révélé Aronofsky immense directeur d’acteurs, talent que même ses détracteurs s’accordent à lui reconnaître : après Ellen Burstyn, Jared Leto, Jennifer Connelly, Marlon Wayans, suivirent Mickey Rourke, Natalie Portman, Brendan Fraser, etc.

Dans son essai passionnant, Requiem for a dream, une spirale infinie qui occupe les quarante pages suivantes, Jacques Demange, critique à Positif, analyse le film comme n’étant pas, « quoi qu’on en dise, un film sur la drogue mais un film drogué« , soit un film qui vise à faire ressentir visuellement, mentalement, physiquement les sensations que permettent d’atteindre la drogue : inassouvissement, manque, soulagement. C’est ce qui explique le montage hip-hop, vif et saccadé, de nombreuses séquences qui s’apparente au phénomène de prise de drogue, de manière concomitante de satisfaction immédiate et de frustration instantanée. D’un point de vue idéologique, Demange pointe l’importance du film : « la drogue est représentée et considérée comme un objet dont la production, la vente et la consommation s’inscrivent dans le principe du système capitaliste« , ce qui ferait d’un point de vue métaphorique de « la « société nord-américaine tout entière […] une nation de drogués« .

On peut alors s’étonner que de nombreux critiques soient restés aveugles devant la qualité du film d’Aronofsky. Ellen Burstyn l’avait aussi été en déclarant après la lecture du scénario, « c’est le script le plus déprimant qu’il m’a été donné de lire« , avant de se raviser après seulement quatre minutes de Pi, le premier film d’Aronofsky, « c’est à l’évidence un vrai artiste« . Le bonus qui lui est consacré est particulièrement éclairant sur les méthodes d’Aronofsky, complètement à l’écoute du processus créatif de ses comédiens, et l’accompagnant d’innovations artistiques : le split-screen comme confrontation de points de vue subjectifs, la caméra attachée au comédien pendant ses déplacements ou le montage hip-hop déjà évoqué. Se rajoutent à ce bonus un making-of d’époque sur le tournage du film, des scènes coupées dont certaines mettant en scène de manière plus étendue Hubert Selby Jr,, ainsi qu’un bonus exceptionnel d’un quart d’heure sur la musique inoubliable du film.

Enfin, deux bonus critiques complètent le panorama sur le film. Caroline Vié de 20 minutes explique que la grande caractéristique de Requiem, c’est d’être un film en colère contre toute une société et de refuser de livrer l’eau tiède que nombre de films dispensent en quantité astronomique. Pour elle, il s’agit de son meilleur film, vibrant et opératique. Pour sa part, Gérard Delorme, journaliste indépendant et ex-rédacteur chez Première, explique de manière éclairante que l’oeuvre d’Aronofsky se divise en deux tendances, l’une ésotérique sur la place de l’être humain dans l’univers et sa relation à son créateur (Pi, The Fountain, Noé, Mother!), l’autre plus réaliste sur les déclassés du rêve américain (Requiem for a dream, The Wrestler, The Whale). On remarquera que Black Swan n’est pas cité par Delorme et se trouve un peu entre les deux catégories, même s’il se rapproche plus de la seconde, en raison de la relation mère-fille, assez forte. Selon Delorme, Aronofsky est en fait un des représentants d’une génération de cinéastes, comme Gaspar Noé, David Fincher, etc. qui s’apprécient et se concurrencent. Il est même l’un des principaux inspirateurs de Coralie Fargeat pour son très marquant The Substance, peut-être bien davantage que Lynch ou Cronenberg, ce que démontre avec maestria Delorme, cf. les plans de montage sur l’oeil dilaté, l’histoire de Sara Goldfarb qui souhaite retrouver sa jeunesse, etc.. En revanche, contrairement à un Cronenberg, reconnu comme auteur, quels que soient ses films, Aronofsky n’est pas encore à l’abri d’éreintements et de descentes en flammes, comme l’ont été dans les années 90, David Lynch, Paul Verhoeven, David Fincher, avant d’être progressivement adoubés par l’intelligentsia critique. Cette édition collector, précédée par une rétrospective à la Cinémathèque, est sans doute le premier jalon pour la reconnaissance critique et publique de Darren Aronofsky, auteur sans concessions et metteur en scène exceptionnel.