Michael B. Jordan se donne lui-même la réplique dans Sinners, au cinéma depuis le 16 avril.

Sinners : le blues mordant de Ryan Coogler

Petite surprise de ce début de printemps, Sinners, le thriller vampirico-musical de Ryan Coogler, semble convaincre autant les spectateurs que les critiques, chose rare pour un blockbuster américain des années 2020. Avec deux Michael B. Jordan pour le prix d’un, entourés d’une multitude d’acteurs et d’actrices qui leur volent la vedette à tour de rôle, le tout sublimé par une mise en scène audacieuse, des symboliques fortes et une bande-son de haute volée, Sinners se démarque largement dans ce début d’année timide pour les films à gros budget. Loin d’être parfait, le long-métrage horrifique parvient à atténuer certains de ses défauts tant sa fraîcheur semble faire défaut à l’industrie hollywoodienne du divertissement. 

Clarksdale, Mississippi, 1932. Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux (incarnés tous les deux par Michael B. Jordan) reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience…

Ryan Coogler offre aux spectateurs une expérience musicale assez inédite qui transcende les époques et les genres tout en permettant une nouvelle interprétation du mythe du vampire.

Des personnages hauts en couleur évoluent en milieu hostile dans la première partie du film avant que le registre de l’œuvre ne bascule brutalement vers le fantastique et l’horreur dans la seconde moitié : si à première vue Sinners peut s’apparenter à une réécriture d’Une nuit en enfer, on s’aperçoit vite que Ryan Coogler puise ses inspirations bien au-delà du duo Tarantino/Rodriguez. En s’associant à nouveau au compositeur Ludwig Göransson, le réalisateur de Black Panther et Creed – L’héritage de Rocky Balboa offre aux spectateurs une expérience musicale assez inédite qui transcende les époques et les genres tout en permettant une nouvelle interprétation du mythe du vampire. Film centré davantage sur le blues et la culture afro-américaine que sur les terribles créatures de la nuit, Sinners présente une analyse plus profonde qu’elle n’y paraît sur l’Amérique violente et ségrégationniste des années 1930 en offrant à ses protagonistes – tous issus ou apparentés aux milieux afro-américains, immigrés et prolétaires – une porte de sortie macabre et illusoire pour inverser les rapports de domination vis-à-vis des riches propriétaires blancs. On prend alors beaucoup de plaisir à observer la lutte des survivants face aux morts-vivants, qui malgré leurs différences manifestes, partagent un désir d’émancipation que l’on retrouve en filigrane dans les diverses musiques qui rythment le film. 

Si l’on ne peut que saluer la double lecture que nous offrent le scénario et la mise en scène de Sinners, on peut toutefois déplorer quelques longueurs au milieu du film ainsi qu’une conclusion qui peut s’avérer poussive pour certains. Les scènes d’action, détonantes de classicisme, peuvent vite faire pâle figure par rapport aux coups de folie ponctuels et terrifiants du Nosferatu de Robert Eggers, autre film de vampire sorti quelques mois auparavant. On se consolera toutefois avec les excellentes performances d’Hailee Steinfeld, de Miles Caton (dont c’est le premier rôle au cinéma), de Jack O’Connell ou encore de Li Jun Li, qui éclipsent presque toutes la double prestation de Michael B. Jordan en jumeaux gangsters, en-dessous de celles de Robert Pattinson dans Mickey 17

Malgré ses défauts, la proposition de Ryan Coogler nous insuffle un blues qui a du bon, et ce même plusieurs jours après le visionnage. La raison de ce maléfice ? Peut-être l’audace du cinéaste américain et de la Warner de miser sur un film de genre qui ne soit ni une suite, ni un remake, ni un prequel ou un reboot, mais bien une œuvre originale avec son lot de nouveautés et de liberté artistique. Face à cela, on ne peut que saluer et encourager la production de films comme Sinners, qui participent autant au renouvellement de la formule des blockbusters qu’à l’arrivée de sang frais aussi bien dans les castings qu’au sein des équipes créatives.

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RÉALISATEUR : Ryan Coogler
NATIONALITÉ : États-Unis
GENRE : Thriller, Action, Épouvante/horreur
AVEC : Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Miles Caton, Jack O'Connell
DURÉE : 2h17
DISTRIBUTEUR : Warner Bros. France
SORTIE LE 16 avril 2025