Qui se souvient de Lena Dunham? Entre 2012 et 2017, elle a su radiographier les émois et préoccupations de sa génération, celle des 25-30 ans, son âge à l’époque, dans une série qui demeure toujours aussi fondamentale aujourd’hui, Girls, révélant un acteur essentiel, Adam Driver, et étant précurseuse avec quelques années d’avance sur le féminisme #MeToo. Huit ans plus tard, hormis une participation marquante dans Once upon a time…in Hollywood de Quentin Tarantino, Lena Dunham s’est faite plutôt discrète. Voyage avec mon père (Treasure en version originale), est l’occasion de son grand retour au cinéma, si l’on excepte une oeuvre qu’elle a réalisée en 2022, Sharp Stick, et qui n’a pas connu l’honneur d’une sortie en France. Coproduite et non écrite par Lena Dunham, ce film semble pourtant s’inscrire complètement dans le corpus de ses oeuvres, joignant l’humour dévastateur et la préoccupation de la judéité.
Une journaliste américaine, Ruth, se rend en Pologne avec son père Edek pour visiter les lieux de son enfance. Mais Edek, un survivant de l’Holocauste, résiste à revivre son traumatisme et sabote le voyage, créant involontairement une situation drôle.
Quand on évoquera un voyage vers les camps, la plupart des spectateurs se souviendront de A Real Pain, ils auront peut-être tort d’oublier Voyage avec mon père, plus discret mais peut-être plus poignant sur la Shoah et la capacité de résilience des survivants.
Certains feront évidemment le rapprochement entre Voyage avec mon père et un autre film récent, A Real pain de Jesse Eisenberg, en raison de leur structure commune de road-movie vers une destination, elle, peu commune, celle d’un camp de concentration, celui du camp d’Auschwitz-Birkenau, en l’occurrence pour Voyage avec mon père. Ce n’est pourtant que un pur hasard : l’antériorité joue pour Voyage avec mon père, venant d’une adaptation d’un roman très autobiographique, Too many men, paru en 1999, de l’autrice australienne, d’origine germano-polonaise, Lily Brett. On a parfois reproché au film de Jesse Eisenberg d’évacuer son sujet dramatique, derrière les relations tragi-comiques des deux cousins, protagonistes de son scénario original. Ce n’est pas le cas dans le film de Julia von Heinz : la spoliation des Juifs, la volonté nazie de les éradiquer se trouve au coeur de Voyage avec mon père. Lors de la séquence essentielle de la visite à Auschwitz, Edek, le père (Stephen Fry, bouleversant), évoquera l’odeur des corps brûlés, qui a disparu, les rails de train qui ont séparé son couple, l’endroit où il dormait tous les soirs et qui lui a permis d’échapper à une mort certaine.
Pourtant ce film se signale aussi par un étrange humour contemporain, qui brille avec la lueur du désespoir : quand, par exemple, les guides ne cessent de qualifier d’Auschwitz de musée et que Ruth se sent obligée à chaque fois de rectifier, « ce n’est pas un musée, c’est un camp de la mort ». Ou quand les occupants de l’appartement natal d’Edek vendent à Ruth des souvenirs de sa famille, à des tarifs hors de prix alors qu’ils lui appartiennent en fait de droit. Le coeur de ce film, excellemment écrit dans ses moindres dialogues, concerne les relations père-fille et évoque surtout un certain Toni Erdmann, avec un père démissionnaire et bouffon, et une fille déboussolée et perdue dans sa vie sentimentale et affective. Le tandem Stephen Fry-Lena Dunham fonctionne ici à plein, Dunham jouant idéalement de son surpoids pour rendre encore plus émouvant son personnage.
Quand on évoquera un voyage vers les camps, la plupart des spectateurs se souviendront de A Real Pain, ils auront peut-être tort d’oublier Voyage avec mon père, plus discret mais peut-être plus poignant sur la Shoah et la capacité de résilience des survivants.
RÉALISATRICE : Julia von Heinz NATIONALITÉ : franco-allemande GENRE : comédie, comédie dramatique AVEC : Lena Dunham, Stephen Fry, Zbigniew Zamachowski DURÉE : 1h52 DISTRIBUTEUR : Haut et Court SORTIE LE 9 avril 2025