Lors du récent confinement de 2020-2021, de nombreuses personnes se sont retrouvées perdues dans des questionnements existentiels. En quête de sens, elles ont pu se demander si leur vie avait un sens, si la quête de la réussite professionnelle, de l’ambition, du succès tous azimuts n’apparaissait pas vaine, s’il ne fallait pas se recentrer sinon autour de vraies valeurs, du moins autour de parcours de vie plus proportionnés à leurs désirs. Beaucoup ont ainsi viré de bord, abandonnant des carrières sûres ou des parcours prometteurs, pour embrasser des chemins de traverse plus vagabonds mais ô combien plus amusants. C’est un peu ce qu’a fait avec bien des années d’avance Mathyas Lefebure dont l’ouvrage D’où viens-tu, berger? (2006) sert de base à Bergers , sixième film de la réalisatrice québecoise Sophie Deraspe, qui s’était déjà signalée par l’intrigant thriller Antigone.
Aspirant écrivain, Mathyas troque sa vie montréalaise de jeune publicitaire pour celle de berger en Provence. Le chemin vers la quiétude pastorale tant désirée est toutefois jonché de durs labeurs. Sa rencontre avec Élise, une fonctionnaire qui a quitté, elle aussi, son emploi, va l’aider à traverser les épreuves de la montagne.
Bergers distille un certain charme atypique, celui d’une vie qu’on pensait à jamais disparue, une vie sans confort ni technologie, où la nature est à la fois notre meilleure alliée et notre plus grande ennemie.
Coécrit par Sophie Deraspe et Mathyas Lefebure, Bergers provient directement de l’expérience autobiographique de Mathyas Lefebure. Jeune cadre publicitaire promis à un bel avenir, il décide de lui tourner le dos et se consacrer à ses deux passions, la nature et la littérature, voire la philosophie. Certains soupireront devant le cliché du berger philosophe, vague réminiscence de l’homme rousseauiste, se retrouvant dans l’harmonie de la nature et fuyant les méfaits de la civilisation. Pourtant, force est d’avouer que ce cliché ambulant existe et que la présence de Félix-Antoine Duval lui donne toute sa crédibilité. Sophie Deraspe a d’ailleurs l’intelligence d’évacuer totalement la vie antérieure de publicitaire de Mathyas, que le spectateur ne peut qu’imaginer, afin de ne pas tomber dans le cliché inverse de l’enfer de la vie citadine. Bergers fonctionne donc uniquement sur un principe d’immersion en pleine nature dans les superbes paysages de Provence, et non sur une comparaison jouée d’avance entre ville et campagne.
Cette immersion s’avérera largement suffisante car la nature s’avérera duelle : lors de la première heure, Mathyas se retrouvera auprès de fermiers quasiment sadiques et maltraitants (tous des hommes) et s’apercevra que la vie de berger le laisse fourbu à la fin de la journée, sans plus guère de possibilités d’écrire ou de réfléchir ; il sera ensuite rejoint lors de la deuxième heure par Elise, une fonctionnaire en rupture de ban à la sous-préfecture, et engagé par une éleveuse de brebis, Cécile, qui l’entraînera à effectuer une incroyable opération de transhumance. Même si l’opposition semble quelque peu manichéenne et parfois invraisemblable (Elise se faisant séduire en une seule rencontre et quelques lettres), le masculin sadique de la première heure étant compensé par le féminin compréhensif de la deuxième heure, l’ensemble dramatique finit par fonctionner par l’assise fortement documentaire du film.
Bergers est ainsi une étrange alliance de scènes contemplatives et documentaires, complétées par des points de vue sur la survivance de l’élevage traditionnel par rapport à l’élevage industriel, ses chances de permanence face aux changements climatiques ou au danger persistant des loups. Même s’il souffre de quelques défauts stylistiques ou de rythme, Sophie Deraspe se reposant parfois sur la splendeur de la nature pour oblitérer un manque de substance dramatique, Bergers distille un certain charme atypique, celui d’une vie qu’on pensait à jamais disparue, une vie sans confort ni technologie, où la nature est à la fois notre meilleure alliée et notre plus grande ennemie.
RÉALISATEUR : Sophie Deraspe NATIONALITÉ : franco-québecoise GENRE : drame AVEC : Félix-Antoine Duval, Solène Rigot, Guilaine Londez, David Ayala DURÉE : 1h53 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 9 avril 2025