Rencontre avec Charlène Favier et Albina Korzh, réalisatrice et actrice de Oxana

Parmi les nouvelles voix découvertes ces derniers temps, cela faisait quelques années que nous souhaitions rencontrer Charlène Favier. Talent émergent depuis le confinement, elle est apparue depuis 2021, quelques semaines après l’ouverture de MovieRama. Serait-ce pour cela que ses thématiques et son engagement constant, témoignant d’une ligne directrice forte, nous touchent autant ? Quoi qu’il en soit, la sortie d’Oxana, biopic engagé sur la cofondatrice des Femen, fournissait une très belle occasion pour concrétiser ce souhait. C’est accompagnée de l’actrice flamboyante de son film, Albina Korzh, que Charlène Favier s’est expliquée sur ce beau projet et ses intentions.

Cela fait longtemps que l’on souhaite vous rencontrer car vous prenez des risques à chaque projet, en ne faisant jamais la même chose et en progressant à chaque fois. Vous avez commencé avec Slalom (2021), un projet très autobiographique sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du sport. Vous avez poursuivi avec La Fille qu’on appelle (2023), téléfilm d’Arte, adaptation d’un roman de Tanguy Viel, sur l’emprise et la relation de dépendance économique, qui, pour moi, fait partie totalement intégrante de votre œuvre. Enfin, vous abordez le biopic sur une quinzaine d’années, un petit morceau d’Histoire avec Oxana. Comment vous est venue l’idée de ce projet ambitieux ?

Charlène Favier : J’en ai eu l’idée pendant le confinement. Ou plus exactement, on m’en a soufflé l’idée. Je n’avais pas trop suivi à l’époque les Femen, comme beaucoup sans doute. C’est lorsqu’on m’en a reparlé et que, en faisant des recherches, j’ai découvert que Oxana était peintre comme ma mère. Cela m’a saisi comme une évidence, et le personnage m’a complétement passionnée. Oxana était avant tout une artiste et pour elle, l’art et la révolution, c’était la même chose, cela partait du même endroit, de la volonté de changer la vie et le monde.

Justement, pourquoi Oxana, avec un X, et non pas Oksana Chatchko ? Pourquoi avoir changé l’orthographe de son prénom ? Pour mieux vous l’approprier et en faire une héroïne de fiction ?

Parce que, cela, je ne l’ai dit nulle part, tout le monde l’appelait Ox, c’était son diminutif. Cela me permettait en effet de me l’approprier et de me la rendre plus intime. C’était l’être personnel dont je souhaitais faire le portrait, pas seulement la militante politique. Mais aussi l’artiste, l’amie, l’amoureuse…

Si je trouve votre film très réussi, c’est que vous êtes totalement sortie de votre zone de confort. Vous avez choisi de tourner avec des actrices ukrainiennes…Vous n’avez pas pu tourner en Ukraine mais on y croit complètement.  

Oui, pour ce projet, il était pour moi inenvisageable de tourner avec des actrices françaises. Il fallait tourner avec des Ukrainiennes et dans la langue d’origine, pour que cela paraisse a minima authentique. Pour le prochain, ce sera un polar, un nouveau défi.

Et comment avez-vous dirigé vos actrices qui sont toutes époustouflantes, en particulier évidemment Albina? On a l’impression que vous avez recherché l’incarnation, bien plus que la ressemblance absolue ou le mimétisme.

Cela part quand même d’une recherche documentaire assez conséquente. On a vu beaucoup d’images, de vidéos, de photos, de films. Mais c’est vrai que je n’ai pas recherché toujours la ressemblance parfaite. N’empêche, les amants d’Oxana ont trouvé Albina d’une ressemblance saisissante. Ils étaient bouleversés à la fin de la projection.

Et vous, Albina, comment avez-vous interprété Oxana ?

Albina Korzh : pour moi, Oxana est une vraie légende, ses actions ont bercé mon enfance. C’est un peu le symbole de la liberté, de la lutte contre le système, pour la justice.Elle représente aussi beaucoup l’Ukraine. C’était donc très important pour moi de lui rendre justice. J’ai beaucoup observé ses vidéos, les films dans lesquels elle apparaît. J’ai essayé d’être le plus proche possible de sa façon de se mouvoir, de sourire, de regarder les gens.

C’est impressionnant. Vous êtes comme une âme vibrante, de bout en bout, d’une intensité absolue, comme une flamme qui ne s’éteint jamais. Vous m’avez rappelé Katerina Golubeva.

Albina Korzh : par rapport aux metteurs en scène ukrainiens, Charlène laisse énormément de liberté. Moi je suis surtout une actrice de cinéma et de télévision, contrairement à mes trois autres collègues dans le film, qui sont de formidables actrices de théâtre.

Charlène Favier : dès que j’ai vu Albina via zoom, j’ai tout de suite été fascinée par sa façon de bouger, de sourire, de regarder. Je n’ai pas eu la moindre hésitation, elle était Oxana. Le monde entier partagera ma fascination. Elle devrait jouer dans des films historiques, elle y serait magnifique.

Je suppose que vous avez vu Apolonia, Apolonia, le très beau documentaire de Lea Glob, où l’on perçoit l’amitié profonde qui lie Apolonia Sokol et Oksana Chatchko, les deux peintres.

Charlène Favier : oui, bien sûr. On a repris cette amitié dans le film. J’ai fait jouer Apolonia  par Noée Abita qui est un peu mon actrice fétiche, déjà présente dans un de mes courts métrages, même si leur ressemblance n’est pas frappante. C’est le côté fiction du projet. Mais Apolonia qui a vu le film, a complètement validé ce choix. Elle trouve même que Noée lui ressemble avec les mêmes sourcils charbonneux.

A quels moments dans le film vous êtes-vous volontairement éloignée du documentaire ? Le moment le plus incroyable dans le film, c’est le kidnapping suivi des sévices en Biélorussie, on jurerait que c’est inventé, pourtant tout est authentique.

La Fête de Kupala qui introduit et clôture le film, c’est inventé. Elle existe mais Oxana n’y a peut-être jamais été, en tout cas, pas comme dans le film. Idem pour le 23 juillet 2018 que l’on retrace presque heure par heure. Le vernissage a bien eu lieu mais en juin, un bon mois auparavant. On a supprimé également des allers-retours entre la France et l’Ukraine, dans le but de fluidifier l’action et l’intrigue.

Là où vous avez manifestement franchi un palier, c’est que vous adoptez par moments un style onirique, assez hallucinatoire, qui tranche avec le registre plus réaliste, naturaliste de vos deux précédents films.

Il y avait déjà un peu cela dans Slalom mais vous avez raison. C’est un aspect que je recherche et je suis heureuse d’y être davantage parvenue dans ce film. Quelles sont les scènes qui vous font penser à cet aspect de réalité hallucinée ?

Les scènes de fête de Kupala, celle où Oxana se peint le corps et sort dans la rue la nuit…Quelques scènes de nature… Ces scènes m’ont fait penser par leur cadrage, toutes proportions gardées au film Le Miroir… Il vous a peut-être inspirée.

Je le connais de nom mais je ne l’ai malheureusement jamais vu. Je vais le noter (elle note le titre sur son téléphone portable).

Pour le geste final d’Oxana, il n’existe pas une seule explication. Un faisceau de motivations plane mais à l’arrivée, une seule cause ne suffit pas à expliquer un geste aussi tragique.

C’est pour cela que le film est une sorte de mosaïque où l’on dresse par petites touches, à la manière d’un peintre le portrait d’un être humain dans toutes ses dimensions, y compris les plus contradictoires.

Je suppose qu’Inna Svevschenko (devenue leader des Femen en France et à l’international) n’a pas encore vu le film ?

Non, elle était au courant du projet. Elle m’a même un peu menacée car elle n’aime pas cette histoire. Mais que peut-elle bien faire ? Je ne raconte que ce qui s’est réellement passé.

Le vol d’une idée, la trahison, tout le monde peut s’identifier à ce qui se passe dans le film.

C’est en effet le grand drame du film, et c’est complètement universel.

Dans ce film, je trouve que vous atteignez des rivages existentiels, insoupçonnés dans vos films précédents.

Je crois aussi. C’est grâce surtout à Oxana qui se trouve à l’intersection de questionnements politiques, philosophiques, religieux.

Le message du film pourrait être que les purs et les idéalistes perdent en ce monde et que les cyniques et les traîtres gagnent. Pourtant vous faites un film sur Oxana donc elle a peut-être gagné.

Bien sûr, elle a gagné. Elle avait raison sur le combat des Femen, des années avant #MeToo. Elle avait raison sur Poutine et Loukachenko qui sont manifestement des dictateurs. Il fallait avoir le courage de le dire à l’époque. Elle avait raison sur la religion, l’art et la révolution. Oxana n’est plus mais ses idées survivent et triomphent. Elle rayonne.

Entretien réalisé par David Speranski le mardi 8 avril 2025.