The Killer : bis repetita placent

Il faut remonter jusqu’en 2009 pour trouver un film de John Woo distribué en France en salle. Alors que ses successeurs se sont retrouvés directement sur des plateformes ou disponibles en VOD, Les Trois Royaumes, fresque historique dans le style de Chen Kaige ou Zhang Yimou, a obtenu ce précieux privilège. The Killer rompt donc une certaine période de disette de cinéma sur grand écran pour John Woo. Remake de son film séminal de 1989, qu’il avait lui-même écrit, The Killer est donc un auto-remake, comme la version US de Funny Games réalisée par Michael Haneke lui-même. Il s’agit d’un retour aux sources de son inspiration pour John Woo, tout en effectuant des changements radicaux dans cette version de son propre film.

Zee est une tueuse à gages réputée et basée à Paris. Surnommée Queen of the Dead, elle réalise régulièrement des contrats pour Finn, un Irlandais travaillant pour le baron du crime Jules Gobert. Ce dernier veut éliminer ses rivaux pour diriger seul le trafic de drogue local. Finn demande à Zee de tuer les membres d’un gang de trafiquants marseillais qui sont venus faire la fête dans une discothèque locale. Zee élimine les gangsters, mais fait une victime collatérale : une jeune chanteuse américaine nommée Jenn Clark.

Il s’agit d’un retour aux sources de son inspiration pour John Woo, tout en effectuant des changements radicaux dans cette version de son propre film.

Silent Night, le film précédent de John Woo, était sorti en toute fin d’année dernière, sur Amazon Prime. Ce film ne comportant aucun dialogue montrait que John Woo était encore apte à se lancer des défis et à surprendre. Néanmoins cette dimension fortement expérimentale barrait, à moins d’un miracle, l’espoir d’une réussite commerciale. Avec The Killer, auto-remake de l’un de ses plus grands succès, Woo semble assurer ses arrières et rentabiliser sur ses acquis.

Pourtant, même si Woo n’est pas crédité pour le scénario, des changements drastiques ont été opérés pour ne pas tout refaire à l’identique. The Killer nouvelle version se passe à Paris, ce qui engendre un certain décalage assez similaire à ceux constatés dans Lucy de Luc Besson ou Femme fatale de Brian De Palma. La distribution secondaire est ainsi principalement constituée d’acteurs locaux, rendant l’ensemble involontairement pittoresque et comique. Retrouver Eric Cantona ou Gregory Montet dans un film de John Woo produit par exemple un effet de décalage assez peu gratifiant. On peut constater également que John Woo n’utilise guère les potentialités de la capitale française et se trouve largement en-deçà des séquences extrêmement spectaculaires de la franchise Mission : Impossible dont il avait, ironie du sort, réalisé le deuxième volet.

Hormis cette modification logistique, The Killer se signale aussi par un changement de protagoniste. Air du temps oblige, The Killer se féminise : Jeff devient Zee. La superbe Nathalie Emmanuel, (la fameuse Missandei de Game of Thrones, la récurrente Megan Ramsey de Fast and Furious et l’étonnante Julia de Megalopolis), remplace donc Chow Yun-Fat. Pour être honnête, on n’y perd pas franchement au change ; en revanche, on peut être beaucoup plus réservé sur le choix d’Omar Sy dans le rôle du policier chargé de suivre la tueuse à gages. La bonne idée eût peut-être été de substituer également une femme au personnage de Danny Lee et par conséquent de constituer un duo exclusivement féminin, -en jouant comme dans le premier film sur la symétrie -, voire un trio avec le personnage de la chanteuse qui est resté, exactement comme dans la version originelle, une personne du beau sexe.

Car l’intrigue est peu ou prou restée la même. S’il faut bien 45 minutes pour s’acclimater étrangement au décor français et aux acteurs locaux qui sonnent étrangement faux dans cette version, il faut malgré tout à reconnaître qu’au bout de ce laps de temps, si l’on passe sur quelques rechutes intempestives, la nouvelle version de John Woo finit par fonctionner et par délivrer son lot d’acrobaties impressionnantes, de scènes d’action mémorables et d’abstraction visuelle tout à fait étonnante. Citons par exemple les scènes de l’hôpital, du cimetière et de l’église, où John Woo fait feu de tout bois, pour ménager de vrais moments de pur cinéma, au-delà de l’intrigue ou du ridicule de certaines situations ou de quelques comédiens. Il n’hésite pas à paraître digresser de manière apparemment hasardeuse dans des flash-backs ou des écrans divisés alors que le scénario est au bout du compte plus que maîtrisé, nonobstant les scories déjà signalées.

John Woo n’a jamais été un véritable auteur avec un univers thématique profond, hormis la croyance en un relativisme moral, mais possède une authentique signature visuelle, entre le film melvillien et la comédie musicale, allant parfois jusqu’à la caricature (les fameux pigeons qu’on retrouve dans les scènes de l’église). Ce talent-là, il l’a toujours, même à l’âge vénérable de 78 ans. Souhaitons pour lui et nous qu’il le garde dans les années à venir.

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RÉALISATEUR : John Woo 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : action, thriller, policier 
AVEC : Nathalie Emmanuel, Omar Sy, Sam Worthington, Diana Silvers 
DURÉE : 2h06 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 23 octobre 2024