Après son excellent documentaire paysan La Ferme des Bertrand au succès bien mérité (environ 250 000 tickets vendus), Gilles Perret retrouve son camarade de lutte, François Ruffin, avec qui il avait déjà co-réalisé deux documentaires : J’veux du soleil en 2019 (cité dans le dossier Cinéma & Politique de Movierama) et Debout les femmes ! en 2021. Régulièrement, le réalisateur travaille la question du travail. En vingt-cinq ans de réalisation, Gilles Perret a réalisé autant de films que d’années écoulées. De son côté, François Ruffin n’est pas en reste. En se penchant uniquement sur cette année qui est loin d’être terminée, le rédacteur en chef du journal Fakir, au-delà de ses activités parlementaires, a publié deux livres aux éditions Les Liens qui libèrent : Mal travail : le choix des élites et Itinéraire : Ma France en entier, pas à moitié. Même un éditocrate de mauvaise foi – léger pléonasme – ne pourrait taxer, ni le premier ni le second, de feignants ou encore de paresseux. Voilà des bosseurs au travail qui travaillent la question du travail. Réunis pour la troisième fois, les deux acolytes mettent en scène un programme clair auquel ils ne rechignent pas : Au boulot !
Le tout démarre à la télévision. Sur la chaîne RMC, l’avocate parisienne Sarah Saldmann et le député de la Somme François Ruffin se retrouvent sur le plateau des Grandes Gueules. Deux mondes s’affrontent. Deux idées du monde qui se font face. La star des plateaux télé s’emporte : « Le Smic, c’est déjà pas mal. » François Ruffin prend note. Avec toute la filouterie qui est la sienne, il lui propose une invitation amicale : vivre pendant trois mois avec 1300€. Une semaine, ça sera déjà pas mal…
En installant un électron riche au milieu de son dispositif cinématographique, Au Boulot ! capte cette figure en creux, Sarah Saldmann, pour mettre en valeur celles et ceux qui l’entourent : les gens.
Le personnage Ruffin est, qu’on le veuille ou non, qu’on l’apprécie ou pas, peu orthodoxe dans le paysage politique contemporain. On le retrouve à la création du journal satirique Fakir, à l’ouverture d’une chaîne YouTube sur laquelle il commente, dans sa cuisine, l’actualité politique et économique française, à la tribune de l’Assemblée Nationale où il revêt le maillot d’un club de football amateur. Le député smicard est reconnaissable par ses trouvailles de formules ramassées telle “la France des bourgs et celle des tours”, par cet épi inclassable qu’il arbore, témoignage d’un caractère coriace. L’homme, décalé, dérange. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’apprécie ou pas, on ne peut lui retirer deux traits qui attisent une sympathie : sa propension à défendre les classes populaires et son tempérament de plaisantin que l’on retrouve dans le journal Fakir, dans ses prises de parole, dans son documentaire césarisé Merci Patron ! et – aurait-on envie d’écrire – naturellement, dans cette nouvelle comédie-documentaire.
“Bon, (Gilles) tu te demandes ce qu’on fait ici.” Sur le fauteuil rouge de l’Hôtel Plaza Athénée, François Ruffin attend Sarah Saldmann qui lui a fixé rendez-vous. L’échange a lieu dans un écrin luxueux où, même à côté de la mélodie d’une harpe, le prix du croque-monsieur à la truffe est difficile à avaler : 54 €. En invitant Sarah Saldmann à vivre une semaine dans la peau d’un smicard, Ruffin et Perret convoquent un folklore télévisuel qui rappelle les émissions de télé-réalité proposant une immersion dans un milieu étranger. Là, Ruffin le dit lui-même, pour la friquée Parisienne, c’est un rendez-vous en terre inconnue. “Au fond, ce que je veux faire, c’est la réinsertion sociale des riches.”
Sur une durée délicate à appréhender, on suit les pas hautement talonnés de Sarah Saldmann au contact d’un milieu qu’elle ne cesse de critiquer de l’extérieur, depuis la tour d’ivoire d’un studio de télévision, milieu au sein duquel il ne nous faudra pas cinq minutes, pour comprendre qu’elle ne le comprend pas. Les images parlent d’elles-mêmes mais l’absurde de la situation serait encore plus prégnant sans la présence de Ruffin qui fanfaronne de ce dispositif où Saldmann est obligée de se vautrer. En immersion avec un livreur de colis, avec une aide à domicile, avec des employés d’une usine qui produisent du poisson fumé, Sarah Saldmann entend parler des notions de rendement – qu’elle est incapable de suivre -et de pénibilité – que son corps éprouve en quelques heures. Le programme télévisuel est sympa, les larmes de crocodile coulent. On ne fera pas de procès en hypocrisie à l’avocate parisienne. Sincère, elle semble l’être. Mais on ne remodèlera pas une génétique sociale que les gestes ne trompent pas : le PMU est un folklore qu’on photographie.
En installant un électron riche au milieu de son dispositif cinématographique, Au Boulot ! capte une figure en creux de la bourgeoisie pour mettre en valeur celles et ceux qui l’entourent. Ruffin manque son coup : la réinsertion sociale des riches n’a pas fonctionné. Être gauche, n’est pas être de gauche. Dans le cœur de son projet voué à l’échec – Ruffin n’est pas naïf – on comprend que la bourgeoisie est un mal incurable. Un mal qui ne mérite que peu d’attention. “Sarah Saldmann, on s’en fiche. Le sujet, c’est les gens.” Et, comme ils savent le faire, les cinéastes le leur rendent bien. Pour autant, le film et les gens n’avaient pas besoin de ce lancement où Sarah Saldmann est lancée sous les lazzis. C’est lorsque ce carnaval où les masques s’inversent, que Ruffin et Perret arrivent à recueillir les miettes d’humanité, disséminées çà et là, pour rendre à la vie, sa simplicité, sa dureté et sa part de joie.
RÉALISATEURS : Gilles Perret & François Ruffin NATIONALITÉ : française GENRE : documentaire AVEC : François Ruffin et Sarah Saldmann DURÉE : 1h24 DISTRIBUTEUR : Jour2Fête SORTIE LE 6 novembre 2024