Trap : attrapez-moi si vous le pouvez !

Le cinéaste américain, auteur de Sixième Sens, d’Incassable, de Split ou de Knock at the Cabin (son avant-dernier long métrage) est de retour avec un exercice de style malin, qui a reçu un accueil assez négatif dans l’ensemble. Shyamalan, souvent inégal dans ses propositions filmiques, fait pourtant preuve ici d’un sens du cadre indéniable en livrant une œuvre qui prend la forme d’un thriller criminel.

L’action se déroule dans une salle de spectacle, au cœur d’un concert d’une star de la pop (Lady Raven, alias Saleka Shyamalan, fille du réalisateur). Cooper, père de famille apparemment exemplaire, y a emmené sa fille, Riley, pour lui faire plaisir et lui changer les idées (elle est victime de harcèlement scolaire). Des centaines de policiers quadrillent anormalement la zone. En réalité, Cooper est aussi un serial killer recherché ; il comprend alors qu’il est pris dans un piège dont il va chercher à s’extraire par tous les moyens.

Cependant, ce qui fait tout l’intérêt du long métrage réside dans le dispositif mis en place par le réalisateur, notamment dans la première partie

Dans Trap, Shyamalan reprend avec malice et sur un mode mineur (est-ce d’ailleurs vraiment le cas ?) certains éléments de ses films précédents : le jeu / la variation autour d’un genre (ici le thriller noir) mais surtout le dédoublement de la personnalité (Split, Glass) à travers le personnage interprété par Josh Harnett (excellent choix). Cependant, ce qui fait tout l’intérêt du long métrage réside dans le dispositif mis en place par le réalisateur, notamment dans la première partie : le spectateur découvre très vite de quoi il est question tout comme il saisit presque immédiatement la nature de cet homme d’apparence ordinaire mais qui ne l’est pas du tout (un tueur dont la prochaine victime est pour le moment séquestrée et qu’il surveille à distance via son smartphone). On se retrouve ainsi du côté de Cooper, Shyamalan adoptant à ce moment-là de l’intrigue son point de vue. La seule question que se pose le psychopathe pris au piège (et le spectateur) est simple : comment sortir de cet endroit barricadé, de ce « faux » concert (qui n’a qu’un seul objectif : attraper celui qui est devenu l’ennemi public numéro 1) ? Certains critiques ont dénoncé le jeu très appuyé et outrancier de l’acteur principal. Au contraire, Josh Harnett s’y montre à l’aise, certes très expressif, mais sa prestation nourrit toute cette première partie, ainsi que la suivante (quand on en apprendra davantage sur sa psychologie et le traumatisme lié à son enfance). Il devient même ambigu et pas si monolithique (capable par exemple d’être heureux pour sa fille). En même temps que la tension monte, il réussit à donner le change à sa fille qui ne se doute de rien. Shyamalan excelle d’ailleurs à mettre en place ce huis-clos tendu et assez étouffant notamment par une mise en scène précise, jouant sur l’espace à sa disposition (une salle de spectacle) mais aussi des cadres pertinents, multipliant aussi les décadrages astucieux. Cette chasse à l’homme est physique bien entendu mais tout autant numérique, puisque les informations circulent via les réseaux sociaux (ce sera le cas encore plus loin dans l’intrigue). Pour autant, on peut, à juste titre, reprocher au cinéaste des approximations ou des facilités dans l’écriture, destinées seulement à faire avancer son récit : la rencontre avec la mère d’une des camarades harceleuses de Riley, celle avec le vendeur de T-Shirt ou encore la simplicité assez déconcertante avec laquelle le tueur parvient à circuler dans les endroits de la salle en principe interdits au public.

En même temps que la tension monte, il réussit à donner le change à sa fille qui ne se doute de rien. Shyamalan excelle d’ailleurs à mettre en place ce huis-clos tendu et assez étouffant notamment par une mise en scène précise

Néanmoins, le basculement du film, quand Cooper comprend qu’il ne pourra pas sortir facilement et qu’il lui faut « utiliser » l’option Raven (la chanteuse) est assez passionnant, il faut bien l’admettre, notamment parce qu’il entre indiscutablement en résonance avec une certaine actualité. De nombreux critiques et spectateurs ont moqué la façon dont Shyamalan met en scène sa fille, chanteuse, l’accusant même d’avoir uniquement réalisé un écrin dont le but serait d’en faire « une » Taylor Swift. Il est vrai que celle-ci occupe à la moitié de Trap un rôle plus important, puisque c’est par elle que la résolution de l’intrigue se met progressivement en marche. D’une manière générale, les femmes agissent dans Trap : c’est une femme qui travaille sur le cas du Boucher (surnom donné au psychopathe du film), profileuse du FBI ; Raven affronte de son côté le tueur en série et sauve la vie du prisonnier ; la femme de Cooper, enfin, finit par percer à jour la psychologie de celui dont elle a partagé la vie (dans une scène remarquablement mise en images). La perception change dans cette deuxième partie du long métrage, ou du moins, on passe à une multitude de points de vue (de Cooper à Lady Raven, de Lady Raven à Riley, de Riley à la femme de Cooper). Et le fait que Shyamalan ait choisi de donner un rôle important à sa propre fille n’est pas anodin et ajoute même une touche assez émouvante et personnelle. Comme une sorte de passage de relais entre générations sur fond de lutte féminine.

Et le fait que Shyamalan ait choisi de donner un rôle important à sa propre fille n’est pas anodin et ajoute même une touche assez émouvante et personnelle. Comme une sorte de passage de relais entre générations sur fond de lutte féminine.

Il convient également de signaler l’humour qui se dégage de l’ensemble. Un élément pas vraiment nouveau dans l’univers de Shyamalan mais qui n’a probablement jamais été aussi développé que dans Trap. A ce titre, quelques moments du dernier acte en sont la parfaite illustration : le rire sardonique (et libérateur ?) de Cooper alors qu’il vient d’être appréhendé et emmené dans une fourgonnette spéciale ou la scène pendant le générique final mettant en scène la réaction du vendeur de T-Shirt témoignent du second degré d’un auteur qui vient de « s’amuser » avec les spectateurs.

En définitive, même si Trap est bancal par intermittences et pourrait basculer dans le précipice à tout moment, il n’en demeure pas moins une réussite dans le genre qui, sans atteindre les sommets d’une filmographie inégale, est bien meilleur que l’insupportable Old. Ne boudons pas notre plaisir !

3.5

RÉALISATEUR : M. Night Shyamalan
NATIONALITÉ : américaine
GENRE : Thriller
AVEC : Josh Hartnett, Ariel Donoghue, Saleka Shyamalan
DURÉE : 1h45
DISTRIBUTEUR : Warner Bros. France
SORTIE LE 7 août 2024