Réalisatrices de la même génération, Alice et Mati Diop portent le même nom, sans être pour autant de la même famille, le patronyme Diop étant l’équivalent pour le Sénégal de Martin, Dupond ou Durand pour la France. Elles partagent également le rare privilège d’avoir été toutes les deux distinguées par de grands festivals internationaux : Lion d’argent à Venise, Prix Louis-Delluc, Prix Jean-Vigo en 2022, et César du meilleur premier film, en 202″, pour Saint Omer d’Alice, Grand Prix du Jury en 2019 pour Atlantique, et Ours d’or à la Berlinale en 2024, pour Dahomey de Mati. L’une et l’autre se trouvent au même point de leur oeuvre, avec à leur actif deux films notables. Elles ont aussi en commun des thématiques similaires sur l’intégration culturelle, les migrants, la communauté africaine, etc. Leurs oeuvres se partagent entre fiction et documentaire, l’une ayant accompli le chemin inverse de l’autre : Alice, venant du documentaire à caractère sociologique, s’est vue consacrée par son premier travail de fiction ; à l’opposé, Mati, bien qu’il existât déjà dans Atlantique des racines documentaires, a choisi pour la première fois cette forme dans Dahomey. En passant de la fiction au documentaire, Mati, fille du musicien Wasis Diop et nièce du cinéaste Djibril Diop Mambety, actrice chez Claire Denis (35 rhums) a donc opéré un virage conséquent. Pourtant, en visionnant son dernier long métrage, malgré cette appartenance indéniable au genre documentaire, ce qui semble paradoxalement l’emporter, c’est la fiction, comme si Mati Diop restait définitivement une cinéaste de fiction dans l’âme.
Novembre 2021, vingt-six trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin. Avec plusieurs milliers d’autres, ces œuvres furent pillées lors de l’invasion des troupes coloniales françaises en 1892. En découvrant cette histoire, Mati Diop choisit d’en faire le sujet de son nouveau film.
Quand Mati Diop, au lieu de s’abriter derrière un prétexte documentaire, fait de la fiction, le film devient magnifique et prouve qu’elle a conservé tout son talent.
Le début de Dahomey intrigue, avouons-le : quelques plans du Musée Branly vide, une voix grave et caverneuse qui s’élève, venant des ténèbres, celle d’une statue parmi les vingt-six trésors royaux qui vont être rapatriés au Bénin. Avec cette entrée en matière fort réussie, Mati Diop frappe fort en surprenant par une véritable idée de mise en scène de film de fiction, digne d’un film d’horreur de la plus belle lignée. La voix s’exprime pendant quelques scènes, nous expliquant le ressenti de la statue devant retourner au pays, illustrée par de jolis plans métaphoriques. Malheureusement, le documentaire reprend assez vite ses droits : on assiste à l’emballage, la protection et le transport des trésors royaux, filmés de manière assez plate et banale.
Arrivés au Bénin, les trésors royaux sont l’occasion d’un débat parmi les étudiants de l’université d’Abomey Calavi, discussion peu éclairante, même si de-ci de-là, des notions de patrimoine matériel et immatériel apparaissent, et la constatation que la France cherche à obtenir le beau rôle en rendant vingt-six trésors, une infime partie de la totalité des oeuvres concernées, en réaffirmant une sorte de lien post-colonial. Dans cette deuxième partie, plus nettement documentaire, ce sont en fait les interventions des commissaires de l’exposition des trésors royaux du Dahomey qui se révèlent les plus significatives, l’une des conférencières évoquant le parallélisme entre le retour des trésors royaux et ceux des natifs du Bénin.
Dahomey prend surtout son envol dans sa troisième partie onirique, renouant avec la voix off d’outre-tombe de la statue royale. En laissant parler la statue qui s’exprime par des commentaires poétiques et somptueusement décalés, « Atlantique, rivage des blessures« , « je suis le visage de la métamorphose », etc., Mati Diop parvient à nous connecter instantanément à l’âme de l’Afrique, bien plus qu’en filmant les discussions stériles des étudiants du pays. Evoquant parfois la puissance lyrique d’un Godard, l’image se trouve alors complétement au diapason du commentaire élégiaque et enchaîne les plans inspirés. Malheureusement, c’est à ce moment-là que le film, court, bien trop court (1h08) s’arrête, nous laissant frustrés alors qu’il commençait à devenir passionnant, retrouvant les splendeurs des meilleurs moments d’Atlantique.
Le paradoxe étant que, bien que trop court, Dahomey s’avère non exempt de longueurs, en particulier à la fin de sa première partie et surtout dans sa deuxième. C’est bien dommage car quand Mati Diop, au lieu de s’abriter derrière un prétexte documentaire, fait de la fiction, le film devient magnifique et prouve qu’elle a conservé tout son talent. En raison des défauts et longueurs du film, une question pourrait donc se poser : Dahomey mérite-t-il son Ours d’or à Berlin? De façon surprenante, la réponse est oui. Car 1) la compétition berlinoise s’est révélée assez faible, les auteurs normalement appréciés s’y étant présentés avec des oeuvres a minima décevantes, pour employer un euphémisme, L’Empire de Bruno Dumont ou Hors du temps d’Olivier Assayas, 2) Mati Diop est la seule à effectuer ce que l’on nomme par facilité de langage une véritable proposition de cinéma, en dépit de ses défauts, car, par l’idée de cette voix off, elle exprime de manière métaphorique un sentiment sur l’Afrique, son ancienne dépendance envers les pays colonisateurs, lien qui continue à persister malgré les apparences. Ce qui fait de Dahomey, à défaut d’être totalement réussi, un film a minima pertinent. On espère que Mati reviendra prochainement à la fiction.
RÉALISATEUR : Mati Diop NATIONALITÉ : franco-sénégalaise GENRE : documentaire AVEC : les étudiants de l’université d’Abomey Calavi DURÉE : 1h08 DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE LE 11 septembre 2024