Averroès et Rosa Parks : la folie à visage humain

Après Sur l’Adamant, Ours d’or à Berlin l’année dernière et qui s’intéressait à des adultes souffrant de troubles psychiques dans un Centre de jour flottant sur la Seine, le documentariste Nicolas Philibert poursuit avec Averroès et Rosa Parks son exploration de la psychiatrie en France et des structures d’accompagnement des malades. Si les deux œuvres se complètent, le lieu filmé et l’approche diffèrent quelque peu.

Le cinéaste a choisi cette fois-ci de placer sa caméra au sein de deux unités de l’hôpital Esquirol, relevant du Pôle psychiatrique Paris-Centre (Averroès et Rosa Parks). Un lieu de soin que l’on découvre dans un plan d’ouverture capté avec un drone, montrant un endroit plus confiné, alors que le précédent documentaire s’attachait à un espace de vie unique en son genre. Des entretiens individuels aux réunions « soignants-soignés », le cinéaste s’attache à montrer une certaine psychiatrie, qui s’efforce encore d’accueillir et de réhabiliter la parole des patients. Peu à peu, chacun d’eux entrouvre la porte de son univers. Dans un système de santé de plus en plus exsangue, comment réinscrire des êtres esseulés dans un monde partagé ?

Ce deuxième volet d’un projet qui sera un triptyque (l’ultime chapitre, La Machine à écrire et autres sources de tracas, sortira quant à lui le 17 avril), se révèle être d’une profonde humanité et d’une grande bienveillance.

Dans le cadre d’un dispositif simple (un recours à la technique classique du champ-contrechamp) mais jamais ostentatoire, ce deuxième volet d’un projet qui sera un triptyque (l’ultime chapitre, La Machine à écrire et autres sources de tracas, sortira quant à lui le 17 avril), se révèle être d’une profonde humanité et d’une grande bienveillance. Si les problèmes de l’hôpital sont évoqués ainsi que les difficultés de prise en charge (par le fil des échanges ou en hors-champ, par les cris de certains malades), ils ne constituent pas le sujet d’Averroès et Rosa Parks. De la même manière, nous n’assistons pas aux activités pratiquées à l’intérieur ni aux soins qui sont prodigués. S’effaçant au profit de ses protagonistes (Philibert n’intervient à aucun moment dans les discussions), le documentariste filme la parole, à travers les échanges entre soignants et soignés lors de consultations, réunions, mais aussi l’écoute et l’oreille attentive.

Prenant le temps d’enregistrer les souffrances des personnes rencontrées et dont on découvre les parcours de vie, parfois chaotiques, souvent riches, il donne un visage humain à la folie, à tous ces hommes et ces femmes placés aux marges de la société.

Prenant le temps d’enregistrer les souffrances des personnes rencontrées et dont on découvre les parcours de vie, parfois chaotiques, souvent riches, il donne un visage humain à la folie, à tous ces hommes et ces femmes placés aux marges de la société. Il leur donne une existence concrète, refusant de les évoquer par le prisme de leurs pathologies. Une nouvelle fois, il pousse le spectateur à réfléchir, à s’interroger sur le concept de « normalité ». Certaines situations filmées, notamment celle de ce professeur de philosophie victime d’un burn-out, pourraient nous arriver malheureusement. Ce dernier n’est pas filmé comme un être totalement irrationnel. Lorsqu’il expose aux professionnels qui le suivent son projet de refonte du système éducatif français, ses propos sont loin d’être incohérents, il y a du vrai dans le constat qu’il tire.

S’attacher à l’humain, sortir du cliché du « malade mental à isoler », tel est le projet véritable de Nicolas Philibert.

S’attacher à l’humain, sortir du cliché du « malade mental à isoler », tel est le projet véritable de Nicolas Philibert. Il en trouve sa plus belle illustration, la plus bouleversante en tout cas, avec le portrait de cette femme aux yeux bleus, d’un certain âge et dont il capte par deux fois le dialogue avec le médecin. En proie à la paranoïa, elle exprime une détresse infinie, une colère aussi qui passe par l’insulte envers celui qui pourtant l’écoute attentivement et tente de la rassurer. Lors du deuxième entretien, on découvre qu’elle a été victime d’un accident, elle apparaît avec le visage brûlé, parlant plus difficilement. Son appel a l’aide n’en est que plus déchirant. L’empathie du spectateur est réelle.

Évitant toute complaisance, Averroès et Rosa Parks (des noms qui évoquent la poésie et la lutte, celle pour les droits civiques) s’avère être une œuvre forte, nécessaire, digne et belle, dans laquelle la caméra est toujours à la juste distance, mettant ainsi en avant des espaces de parole plus que jamais indispensables.

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RÉALISATEUR : Nicolas Philibert
NATIONALITÉ : France
GENRE : Documentaire
AVEC : Les patients et les soignants de l'hôpital Esquirol
DURÉE : 2h23
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 20 mars 2024