Comme disait Godard , « le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde« . La caméra est en effet un outil irremplaçable pour percevoir le réel dans ses moindres détails, dans la profondeur de ses moindres reliefs, dans l’intensité des émotions qu’il véhicule. Ce n’est probablement pas Abbas Kiarostami qui contredirait cette maxime. Le réalisateur, auteur et poète iranien, auquel le Centre Pompidou dédie actuellement une rétrospective, est en effet connu pour son attention au réel, pour ses essais sur la capacité du cinéma à rendre compte du vrai. S’étant plusieurs fois essayé au documentaire, le réalisateur a su faire sien un certain style mélangeant vie réelle et narration, cherchant la poésie dans le réel et restituant la vie dans sa dimension vécue. À ce titre, Au travers des oliviers est peut-être l’un de ses films les plus importants : troisième volet d’une trilogie composée de Où est la maison de mon ami ? et de Et la vie continue, ce long métrage explore tout en retenue et en humilité la manière dont la vie et le cinéma s’articulent entre eux. Un film assez saillant dans l’œuvre de Kiarostami, dont la reprise en salles ce 2 juin permettra de montrer la maîtrise du réalisateur dans ses thèmes de prédilection, faisant honneur au regard poétique et empathique que portait l’auteur sur ses compatriotes.
Dans une campagne du nord de l’Iran, des hommes et des femmes s’agitent : entre les oliviers, les collines verdies et les petites maisons de pierre, une équipe de tournage s’installe et se prépare à tourner. Choisissant ses acteurs parmi les habitants de la région, le réalisateur et son équipe doivent cependant faire face à une évidence : dans ces contrées se relevant douloureusement d’un tremblement de terre, la frontière entre le cinéma et la vie est loin d’être claire…
Plus qu’un film sur le cinéma, Au travers des oliviers est un film sur la vie, celle qui dépasse du champ de la caméra, celle qui se soustrait au récit et aux exigences du réalisateur, celle qui résiste à la prise de vue… Une vie que Kiarostami apprivoise cependant avec une grande faculté d’écoute, et non sans une certaine tendresse.
Au travers des oliviers est un film qui prend son temps, mais qui le fait bien : si les plans durent un certain temps, c’est que le réalisateur fait l’effort de laisser le temps à l’action de prendre son cours, laisse le temps aux personnes dans le champ de faire leur travail, laisse le temps opérer pour donner la juste mesure des émotions. Le film de Kiarostami est en effet un exercice d’écoute et d’empathie, un film qui fait de la juste compréhension de l’autre une responsabilité du regard du réalisateur. Un exercice d’écoute probablement le mieux rendu par cette figure du réalisateur dans le film, cherchant à écouter les jeunes protagonistes, leur laissant le temps de dévoiler progressivement leurs sentiments… Entre les prises, le travail du réalisateur est un travail de compassion et d’empathie, un travail qui laisse affleurer toutes les émotions qui résistent à la fiction et au tournage. Dans cette attention redoublée aux humains autour de lui, le cinéma de Kiarostami est alors un cinéma au carré, un cinéma dont la magie repose autant devant que derrière la caméra, autant dans la fiction de l’intrigue filmée que dans la vérité des sentiments qui traversent les acteurs.
On voit peut-être le mieux ce double cinéma à la manière dont le réalisateur filme les séquences de film dans le film : tournées de manière totalement frontale, dans un exercice de montage qui découpe la façade de la maison aux devantures bleues en deux parties hermétiquement distinctes, les scènes de film dans le film nous mettent à la place du réalisateur, comme séparé de ses acteurs, la caméra comme un mur invisible entre lui et le réel . À l’inverse, dès que la caméra s’arrête, Kiarostami reprend les rênes, sort de la frontalité pour revenir dans des scènes plus proches des acteurs, les filmant de trois quarts, dans la profondeur… Comme si, en sortant du film, le réalisateur cherchait à redonner de la profondeur au réel, dans ces moments de vie et de travail qui séparent chaque prise – en somme, à remettre la caméra dans le réel, dans la vraie vie : là où a aussi lieu le cinéma. Entre le lieu du tournage et les collines couvertes d’oliviers, le cinéma de la fiction et le cinéma du réel finissent alors par se mélanger, l’un se nourrissant de l’autre, l’un amplifiant l’autre dans un savant mélange entre le film et le réel.
Plus qu’un film sur le cinéma, Au travers des oliviers est alors un film sur la vie, celle qui continue malgré le tremblement de terre, celle qui dépasse du champ de la caméra, celle qui se soustrait au récit et aux exigences du tournage, celle qui résiste à la prise de vue… Une vie que Kiarostami apprivoise cependant avec empathie, avec une grande faculté d’écoute et non sans une certaine tendresse. Ainsi, quand le jeune Hossein suit celle qu’il aime, Tahereh, au travers des oliviers, ce n’est pas simplement une intrigue amoureuse que nous donne à voir le réalisateur : bien plus, c’est la vie dans sa capacité à échapper au récit, la vie dans la durée réelle des sentiments, dans l’honnêteté et l’absence de fard qui se manifeste sous l’œil discret et empathique du réalisateur. Entre pudicité et franchise, entre la caméra et le micro, entre les troncs des oliviers, c’est là que se trouve le cinéma de Kiarostami : un cinéma du vivant, du naturel, tendre et empathique. Un cinéma vrai, paternel, aimant de l’autre – en somme, un cinéma d’une profonde humanité.
RÉALISATEUR : Abbas Kiarostami NATIONALITÉ : Iranienne AVEC : Mohamad Ali Keshavarz, Farhad Kheradmand, Zarifeh Shivah GENRE : Drame DURÉE : 1h43 DISTRIBUTEUR : Carlotta Films SORTIE LE 25 janvier 1995 - Reprise le 2 juin 2021