Vous pourrez dire que c’est facile, avec peu de moyens, caricatural et limite démagogique. Que nenni. Yannick, le dernier film de Quentin Dupieux, témoigne finalement d’une situation collective, et qui ne touche pas que le cinéma – à l’heure où Dolan s’épanche sur sa dépression d’artiste qui l’amène à s’arrêter, pendant que d’autres cinéastes montrent de quoi ils sont capables en plus de trois heures en surfant sur des vagues pas moins faciles ni moins caricaturales.
C’est ainsi qu’on assiste à un huis-clos au sein d’un théâtre parisien, qui offre à la situation du récit comme à la nôtre, une mise en abyme dans laquelle tout (un système) est interrogé. L’art, notamment le cinéma, déplacé sur le théâtre, par là le créateur (auteur, metteur en scène, acteurs confondus) d’un côté, et sa réception (avec les spectateurs) d’un autre : par l’intermédiaire d’un faux héros qui n’a plus envie de faire semblant, il semble que Dupieux n’ait plus trop envie de faire semblant non plus, en détournant le sujet sur… un pneu. Par l’art, comme pour l’écologie pourrait-on dire, on comprend combien les inégalités entre les classes et la lutte qui en découle (cf. les récentes émeutes aussi) reste un problème majeur qui peut permettre aux êtres d’accéder aux deux champs, plutôt que d’imaginer que l’inverse est possible…
C’est donc bien une situation collective humaine qui est dénoncée, venant rappeler ici par l’intermédiaire des fonctions de l’art pour l’être comme des rôles de ceux qui sont concernés, quelle déshumanisation la société est en train de vivre, caractérisée d’un côté par une passivité presque totale des privilégiés (les spectateurs de la pièce), un mépris de classe de la part de ceux qui sont aptes à créer même s’ils n’ont pas la réputation espérée (les acteurs de la pièce), l’agressivité incontrôlable qui en découle, de la part des laissés pour compte, qui ont le droit d’ouvrir leur gueule dans un monde où l’on sait, ou l’on vit que la police peut bien la leur faire fermer.
C’est donc à une fable politique que l’on assiste, qui pourra faire traverser à certains le boulevard (ou la route !), qui en émouvra d’autres, à la manière d’une catharsis (comme au théâtre donc), par le rire, même jaune, ou les larmes (cf. la fin de la pièce) même intériorisées. C’est aussi une ode aux enfances, les maltraitées, malheureuses, injustes…, et par elles une ode aux rêves auxquels certains n’ont pas (eu) accès, amenés à être pris entre une naïveté immature et une révolte colérique… Rêves rendus possibles par la création artistique, pourquoi pas le « divertissement » même, dont la principale fonction serait qu’elle mette du « baume au cœur » de ceux qui la reçoivent. Sous-entendu qu’il y aurait des gens qui auraient besoin d’être réparés, du moins entendus, plutôt que de les ignorer ou de s’en moquer…
De Quentin Dupieux dont on pourrait dire que c’est un malin, on préfèrera le terme malicieux, plus enfantin, avec ce tour de force d’1h07, sa super direction d’acteurs, la présence de l’acteur à la mode du moment, Raphaël Quénard, capable de mener la danse tout du long, ses clins d’oeil politiques, qui ne nécessitent pas qu’on les approfondisse – d’autres s’en chargent mieux que lui, et est-ce la fonction du cinéma à l’heure où la politique joue son propre cinéma -, et, surtout un enchaînement de films du plus fantaisiste au plus réaliste comme s’il était lui-même attentif à la réception de son propre cinéma. Alors finalement facile ou caricatural, grotesque ou énorme, n’est-ce pas au fond un miroir que le cinéaste nous tend tout en nous encourageant à repasser à l’action, pas avec insouciance puisque la situation est grave, mais avec audace et courage, bravo Yannick !