Depuis 2017, Paul Schrader est revenu en état de grâce. Pendant une vingtaine d’années, après la réussite d’Affliction, adapté d’un roman de Russel Banks, il a enchaîné les projets improbables, voire douteux, tout en préservant une aura intangible d’auteur. Enfin, en 2017, le bien-nommé Sur le chemin de la rédemption (First reformed en V.O.) lui a fait reprendre le chemin du talent et d’un cinéma intransigeant et de qualité (dans le bon sens du terme) qu’il avait quelque peu négligé. Après cette remise en selle, il a donc poursuivi et a aligné deux volets supplémentaires à sa trilogie sur les hommes tourmentés : The Card Counter et maintenant Master Gardener. Contrairement à Sur le chemin de la rédemption qui n’a pas connu les honneurs de la sortie en salle, ce qui ne l’avait pas empêché de truster les meilleures places aux classements de fin d’année, les deux volets suivants y ont tous les deux droit. Master Gardener apparaît ainsi comme une digne fin (?) à cette trilogie sur la violence des hommes tourmentés.
Narvel Roth, horticulteur méticuleux, prend autant soin des jardins de la propriétaire d’une somptueuse villa que des désirs de cette dernière. Quand elle lui demande d’enseigner son art floral à sa petite nièce, le chaos s’immisce, révélant au passage de sombres secrets de son passé.
Master Gardener apparaît ainsi comme une digne fin (?) à cette trilogie sur la violence des hommes tourmentés.
Paul Schrader le sait lui-même, ce qu’il a fait de mieux, c’est sans nul doute le scénario de Taxi Driver, réalisé par Martin Scorsese, directement inspiré par Le Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson, d’après le roman de Georges Bernanos. Après des années d’errance, il l’a certainement compris et intégré. La trilogie sur la violence des hommes tourmentés apparaît donc comme une suite de variations sur ce schéma narratif et psychologique extrêmement spécifique. Que ce soit First reformed, The Card Counter ou Master Gardener, on y retrouve donc des caractéristiques semblables : un homme tourmenté par son passé (le deuil d’un enfant, un passif de tortionnaire ou d’ex-skinhead) qui tient son journal intime et se trouve en situation de sauver une personne envers il a une posture de protecteur et qui va décider d’en assumer les conséquences. Le schéma est le même, y compris certaines figures stylistiques : les flash-backs traumatiques sur un passé honteux, (brefs inserts ou séquences cauchemardesques), les épiphanies soudaines (la séquence de lévitation dans First reformed, la promenade dans le parc d’attractions pour The Card Counter, la fuite sur la route qui se transforme progressivement en chemin pavé de fleurs dans Master Gardener.
Les vingt premières minutes du film sont assez intrigantes et trompeuses puisqu’elles prennent l’apparence doucereuse d’un cours de botanique et de jardinage, avant que les traumas ne se révèlent gravés de manière effrayante à-même la peau. Le contraste symbolique s’avère ici très réussi. Dans tous les cas, du point de vue de l’auteur, l’intrigue consiste pour le personnage principal à sauver quelqu’un du pire, ici, une jeune fille d’un dealer, et si possible, ce faisant, se sauver soi-même. On remarquera d’ailleurs que, dans cette trilogie qui montre ces personnages masculins proches de la dépression, voire du suicide, la conclusion se révèle être finalement apaisée, preuve d’une sérénité nouvelle, voire d’une maturité certaine acquise par le metteur-en scène scénariste. Master Gardener rappelle non seulement les films antérieurs de Paul Schrader mais également d’autres oeuvres qui répondent au même schéma, A history of violence de David Cronenberg ou Gran Torino de Clint Eastwood.
La rédemption est en effet à l’ordre du jour. Bien aidé par un Joel Edgerton d’une sobriété exemplaire, à l’unisson du film lui-même, Schrader réussit la prouesse de présenter avec Master Gardener un troisième visage d’homme tourmenté, à la fois semblable et différent des précédents : après Ethan Hawke en prêtre suicidaire ou Oscar Isaac en joueur de poker. Joel Edgerton en jardinier repenti ajoute une nouvelle figure inoubliable à la galerie des anti-héros schradériens. « Jardiner représente une croyance dans l’avenir« , entend-t-on dans le film, afin de pouvoir semer, non des graines de violence, mais des fleurs de paix.
RÉALISATEUR : Paul Schrader NATIONALITÉ : américaine GENRE : thriller, drame AVEC : Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell DURÉE : 1h50 DISTRIBUTEUR : The Jokers/Les Bookmakers SORTIE LE 5 juillet 2023