Funnier games. Il y a un côté Haneke chez Shyamalan, cinéaste entomologiste qui, dans le but d’énoncer la morale de l’histoire, plonge ses personnages dans le plus cruel des dispositifs. Indice, la première image — Votre Honneur, nous jurons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ne rien dévoiler de l’affaire dans les élucubrations qui vont suivre — montre un insecte sur le point d’être emprisonné dans un bocal. Confidence, votre humble serviteur et la personne chère à son cœur sont la plupart du temps sur la même longueur d’onde, y compris dans l’appréciation des œuvres cinématographiques dont vous savez qu’ils sont friands. Cependant, ça arrive rarement, mais ça arrive, le différend était ici encore plus profond que pour les Spielberg avec Tom Cruise. C’est justement qu’en ce qui concerne la morale de l’histoire, il n’est pas interdit d’être incommodé par, comment dire, une sorte de relent nauséabond de complotisme grotesque. Pourtant, personnellement je ne sens rien, car je suis incapable de prendre la chose au sérieux. Au fond, je ne crois pas qu’on soit dans le registre de la leçon sévère façon Professor Haneke — précision, je ne suis pas en train de dire que Haneke serait un complotiste, et j’ai beau détester Funny Games, j’aime plutôt bien le Haneke tardif. Revenons à Shyamalan, je m’étais fait engueuler par les amateurs pour avoir traité son précédent Old de ‘’super-nanar horrifique’’. Or c’était pour moi un compliment, et je suis prêt à réutiliser l’expression ici, tant les deux films se ressemblent, jusque dans leurs dispositifs cruels.
Shyamalan serait une sorte de Haneke bouffon, dont le but n’est pas l’édification, mais le divertissement du spectateur, à destination duquel il tambouille un bon vieux bis ‘’qui croustille sous la dent’’ — pour reprendre les propres mots du maestro dans son habituelle autant que savoureuse apparition hitchcockienne. Pour le dire autrement, voici un épisode de La Quatrième Dimension, tout ce qu’il y a de chiadé dans les moindres détails. Pour moi, qui ai beaucoup aimé le film, ses qualités sont avant tout poétiques. Je n’ai pas été indisposé par un éventuel propos plus ou moins malodorant, d’une, parce que, comme je l’ai dit plus haut, il me paraît difficile de le prendre au sérieux. De deux, parce que le film énonce moins un discours, qu’il constitue un support de rêverie, ou de cauchemar — il est permis de projeter à peu près toutes les peurs actuelles dans ses images, et d’y voir par exemple une allégorie de la crise climato-énergétique.
Je jurais de ne rien spoiler tout à l’heure, figurez-vous que je suis allé voir le film en ayant lu le résumé de The Cabin at the End of the World, roman de Paul Tremblay dont c’est l’adaptation. Il peut être fructueux de s’interroger sur les changements apportés à l’intrigue, que je comparerais à une modulation musicale, de l’inquiétude en si bémol mineur, pensez Marche funèbre de Chopin, au ré majeur le plus éclatant, mettons Fireworks Music de Haendel. Plutôt que de s’enfoncer dans le désespoir tragique et l’angoisse existentielle, le film cherche et trouve la lumière, avec envoi émotionnant, dont le bouquet final est une scène derrière un pare-brise qui reflète le défilé des nuages dans le ciel — scène que je ne suis pas loin d’avoir trouvée sublime. Shyamalan est peut-être un entomologiste doublé d’un moraliste mystico-pété, mais petit a, il a énormément d’empathie pour ses créatures. Petit b, il s’adresse moins à l’intelligence du spectateur qu’à ses émotions, primaires et nues. Pour ce qui est des miennes, le doigté de la mise en scène, qui allie paradoxalement distance ironique et absolu premier degré, a fait merveille. Toc, toc.