Rencontrer Emmanuel Mouret, c’est rencontrer un gentleman-cinéaste, cinéphile averti, montrant une politesse avenante, et utilisant un langage choisi, précis et littéraire, conforme à ses films qui perpétuent toute une tradition du cinéma français brillamment dialogué, à la manière d’Eric Rohmer ou de Sacha Guitry. Légèrement enrhumé suite à une promotion suractive de son nouveau film, Chronique d’une liaison passagère, au moins aussi réussi que son précédent, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, il se montrera néanmoins très disert sur son oeuvre en plein épanouissement, sa relation quasiment amicale avec Vincent Macaigne, son amour du cinéma dialogué et des films burlesques. Pleins feux sur un cinéaste qui occupe aujourd’hui une place centrale dans le cinéma français.
Vous avez obtenu une reconnaissance critique et publique impressionnante avec votre précédent film, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Cela vous a-t-il surpris?
Oui et non. De toute façon, c’était pour mon dixième film. Même s’il y avait une bonne réception critique et publique, il m’a semblé que c’était plus de l’ordre du privé. Je me suis quelque part senti défendu par des personnes, même si mon cinéma ne plaisait pas à quelques autres. Mais oui, cela m’a un peu surpris.
Ces personnes qui ont toujours défendu votre cinéma, vous les appréciez peut-être davantage?
On apprécie toujours plus d’être encouragé que le contraire. Mais non, pas forcément. Je crois vraiment à l’importance du rôle de la critique comme un trait d’union entre tous les spectateurs d’un film. Il s’agit d’en parler, de trouver les mots pour donner une forme à ce que l’on a ressenti devant un film. Mais, en ce qui me concerne, moi, en tant que réalisateur, je ne lis pas les critiques de mes films.
Ah vous ne lisez jamais les critiques de vos films?
Quasiment jamais. Cela n’a pas d’influence directe sur moi. Quand j’ai fini un film, j’ai fait de mon mieux. Sinon autour de moi, mes amis les lisent et m’en parlent. Mais sur le moment, sur la sortie d’un film, je ne suis pas assez perméable. C’est comme si vous aviez un enfant et que l’on ferait des critiques, vous n’auriez pas envie de les entendre.
Même si elles sont favorables? Lorsqu’elles sont presque toutes favorables, cela pourrait faire plaisir.
Cela fait très très très plaisir, bien sûr. Mais on les lit à d’autres moments, pas forcément au moment de la sortie.
Avec votre précédent film, vous avez eu des nominations aux César, vous avez remporté le prix du meilleur film français décerné par le Syndicat français de la critique de cinéma, j’avais d’ailleurs voté pour vous. On a un peu l’impression que c’était un pic de votre carrière.
Eh bien, écoutez, cela signifie que cela ne peut que retomber maintenant (rires). C’était un moment privilégié. Peut-être le film se situait dans un contexte où il y avait moins de concurrence.
Peut-être parce que c’était votre dixième film et qu’il présentait un aspect quelque peu récapitulatif….
Non je ne sais pas. A vrai dire, ce sont des questions que je ne me pose pas. Je pense qu’il y a eu un heureux concours de circonstances et que le temps a joué en ma faveur. Je le vois pour des cinéastes que j’ai aimés. Mais je ne crois pas que ce soit vraiment volontaire.
Votre nouveau film , Chronique d’une liaison passagère, que je trouve au moins aussi réussi que le précédent, l’avez-vous conçu en opposition au précédent qui était plus polyphonique alors que celui-ci se concentre surtout sur deux personnages?
La vérité, c’est que je voulais tourner celui-là avant mais qu’on n’avait pas de casting. Et donc j’ai tourné Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Donc il n’y a pas eu de calcul. J’ai attendu d’avoir le bon casting pour me lancer dans Chronique d’une liaison passagère. C’est donc le fait d’avoir trouvé le bon duo avec Vincent (Macaigne) et Sandrine (Kiberlain) qui a fait que le projet se fasse. C’est pour cela qu’il n’y a pas de calcul de carrière, c’est davantage mon producteur qui y songe, mais moi, pas véritablement.
Vincent, vous l’aviez déjà engagé pour Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait?
Oui, tout à fait. En réalité, j’ai rencontré Vincent sur une lecture pour Chronique d’une liaison passagère. J’ai trouvé Vincent super mais trop jeune pour le rôle. Quand j’ai reporté le film, j’ai repensé à Vincent, on a tourné Les Choses qu’on dit….et il s’était laissé pousser la barbe, je le trouvais changé, avec son nouveau look. Il était plus intéressant par rapport au rôle. Après, il fallait que je réfléchisse sur la comédienne qui devait jouer avec Vincent. Lorsque j’ai trouvé Sandrine, cela m’a semblé évident. A priori ils contrastent beaucoup par leur physique et leur tempérament mais en même temps, ils sont tous les deux très drôles et touchants à la fois. C’est assez rare d’être à la fois drôle et touchant.
Et puis aussi Georgia Scalliet qui est remarquable, qu’on avait peu vue au cinéma et qui est surtout une actrice de théâtre….
Oui, elle est formidable. C’est une rencontre, on ne se connaissait pas. C’est grâce à la directrice de castng avec qui je travaille, que je l’ai rencontrée. Donc ce n’est pas grâce à la Comédie-Française mais par une lecture.
Vincent Macaigne, n’est-il pas devenu plus ou moins votre alter ego dans vos films?
En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’il y a une entente quasi amicale entre nous mais surtout je n’ai même pas besoin de lui expliquer le rôle, le personnage. Il y a quelque chose de très évident avec lui. Il existe une véritable résonance.
A partir de Mademoiselle de Joncquières, vous ne jouez plus dans vos films. Est-ce un choix délibéré et définitif? Ou alors à l’occasion vous pourriez rejouer dans vos films?
Alors moi je n’ai jamais décidé de jouer dans mes films. C’est toujours mon producteur qui a proposé que j’y joue. Certes j’ai écrit le scénario et les dialogues donc je me projette dans les personnages, en particulier dans mon personnage principal. Mais j’avoue peut-être avoir plus de plaisir à ne pas jouer parce que je peux exiger dans ce cas davantage des comédiens.
C’est plus simple pour vous car cela vous permet de regarder les choses de l’extérieur.
Ce n’est pas plus simple, c’est surtout que cela me permet de faire des choses plus complexes.
Dans ce cadre-là, c’est plutôt Vincent Macaigne qui pourrait prendre la place de votre personnage principal.
Tout à fait.
Plutôt que d’autres acteurs que vous pourriez envisager éventuellement?
Peut-être, on verra. A vrai dire, j’aime beaucoup Vincent Macaigne avec qui je travaille actuellement.
Considérez-vous que Mademoiselle de Joncquières représentait un tournant pour vous ou pas du tout?
Oui parce que, vis-à-vis du public, il a représenté un tournant. Il a remporté un grand succès public. Oui aussi dans le fait de ne pas jouer et donc de pouvoir m’autoriser à faire une mise en scène plus complexe et sophistiquée. Et aussi le fait d’aller dans un certain raffinement, mon goût pour les échanges et les dialogues. Quand j’ai fait Mademoiselle de Joncquières, j’ai réalisé un film que j’aimais beaucoup mais je ne pensais pas qu’il allait intéresser le public. Les personnages parlent comme j’aimerais qu’ils parlent. Et je pensais qu’ils parlaient trop et que cela n’allait pas intéresser le public. Je me suis trompé car cela a vraiment intéressé le public.
Vous n’aviez pas peur de vous confronter à Bresson, aux dialogues de Cocteau, à Diderot?
Oui, il y avait une forme d’appréhension à aborder une adaptation qui a déjà été faite par un grand maître.
C’est peut-être cela qui vous a fait franchir un palier.
J’ai choisi par opposition de faire une adaptation qui se passe à l’époque du livre de Diderot, en costumes d’époque, contrairement à la version contemporaine de Bresson. Je me suis attaché aussi à des moments différents de l’histoire.
Si je vous dis que vous vous situez dans la famille Guitry-Rohmer, avec un cousinage possible du côté asiatique vers Hamaguchi et Hong Sang-soo, cela vous va?
C’est parfait pour moi car je les cite très souvent.
D’un autre côté vous avez certainement des goûts qui débordent ce champ-là et éventuellement ces goûts pourraient-ils vous influencer vers une autre orientation de vos films ultérieurs?
Evidemment et d’ailleurs on le voit déjà dans mes films précédents. J’ai un goût pour le burlesque, pour la maladresse, qui existe d’ailleurs aussi chez Hamaguchi, Hong Sang-soo ou chez Rohmer. J’aime aussi les films de Blake Edwards, Lubitsch ou Woody Allen. C’est vrai qu’on est pris entre différents maîtres, différentes admirations et on vit dans cette tension-là et on fait quelque chose avec ce qu’on est.
Ce ne serait pas intéressant si ce n’était pas très personnel.
Oui, tout à fait, on ne peut pas faire autrement. Je me sens parfois appartenir à une époque et être visité par d’autres.
Dans votre nouveau film, on retrouve le thème des occasions manquées. Avez-vous l’impression que Chronique d’une liaison passagère se termine mieux que le film précédent, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait?
Ce n’est pas à moi de le dire. Mais je ne trouve pas que le film précédent se termine mal non plus. Dans la fin du nouveau film, chacun peut se projeter à sa façon.
Comment vous avez vécu la période de confinement? Quelles sont les oeuvres qui vous ont accompagné, que vous avez pu relire, revoir ou découvrir à ce moment-là?
Pendant le confinement, j’ai surtout préparé le film. Je finissais le montage des Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait. Je me trouvais avec les enfants donc je n’ai pas vraiment eu de moments à moi.
Vous n’avez donc pas eu de moments de doutes existentiels pendant le confinement?
De doutes existentiels, non. Car la plupart du temps, j’étais en finition de mon film, le choix des musiques pour Les Choses qu’on dit. Et le reste du temps, j’étais avec les enfants.
Vous avez un nouveau projet?
On en a toujours. Des choses qu’on écrit. Et on essaie de les mettre sur pied.
On aura donc peut-être un nouveau film d’Emmanuel Mouret dans deux ans.
J’espère. Croisons les doigts.
Avec Vincent?
J’espère aussi.
Entretien réalisé par David Speranski en septembre 2022 à Paris.