Difficile de ne pas penser à Cronenberg devant certains détails bio-technologiques de l’intrigue. Un Cronenberg ouvertement rigolard et satirique, et aussi plutôt réac. Là où le démiurge de Toronto semble nous conseiller de nous faire au changement inéluctable, Dupieux énonce quelque chose qui ressemble à première vue à une critique de la modernité. Je dis à première vue, car le parallèle cronenbergien n’est que superficiel, de même que l’accusation de conservatisme — aussi bien, à mon avis, que celle de misogynie. Je m’explique, il n’est pas impossible que ces deux caractéristiques proviennent de ce que le film se coule dans le format du conte merveilleux. Ce serait une sorte d’adaptation lointaine d’une histoire comme le Pêcheur et sa femme*. Soit, un homme mou mais raisonnable — et, argument massue en faveur de ce que j’avance, effectivement adepte de pêche à la ligne —, et son épouse énergique mais au net penchant pour l’hubris. Les voici qui rencontrent un Méphistophélès mi-chair mi-poisson, qui n’oblige à rien mais accorde tout via un étonnant conduit. Au diapason des dialogues ciselés, qui s’amusent des tournures phatiques au goût du jour (’’bisou’’), le boniment du personnage, vu dans la bande-annonce, est tout ce qu’il y a de savoureux. Ce conduit, Madame, Monsieur, écoutez-moi bien, vous n’allez pas le croire et pourtant c’est la vérité, ce conduit, ce conduit.
Tarare ondin, Tarare ondin,
Petit poisson, gentil fretin,
Mon Isabeau crie et tempête ;
Il en faut bien faire à sa tête.
Telle est la strophe qui rythme le conte collecté par les frères Grimm (traduction Baudry de 1864, où ’’tarare’’, pour ceux qui se le demandent comme moi il y a cinq minutes, est une interjection du genre taratata ou turlututu). Le conte est basé sur la répétition d’une même action, dont les effets sont tout à la fois de plus en plus satisfaisants et de plus en plus inquiétants. De son côté Dupieux s’en sort, une fois les prolégomènes de son histoire clairement posés, en organisant un ballet musical d’images muettes, qui fait s’envoler le film dans sa dernière partie. Contrairement à ce qui se passe dans le conte, les effets susmentionnés sont ici irréversibles, et le film se teinte d’une tristesse qui m’a semblé inédite dans l’œuvre de l’Oizo.
Un dernier mot sur la BO, fabriquée à partir de l’album de 1976 d’un certain Jon Santo** (AKA Andreas Beurmann, musicologue et physicien allemand décédé en 2016). C’est en quelque sorte un Switched-On Bach II, c’est-à-dire des pièces pour clavier de Bach interprétées au synthétiseur. Musique idéale pour le film, dont les atours grotesques recèlent une forme au classicisme inaltérable. Garanti 100 % sans fourmis à l’intérieur.