Sans filtre : la joyeuse spirale du déclin

En 2017, la Palme d’or remportée par Ruben Östlund avec The Square avait été considérée comme un camouflet par l’ensemble des festivaliers en particulier français, un brin chauvins, qui n’attendaient que le triomphe de la Palme annoncée de longue date, 120 battements par minute de Robin Campillo. Quelques années plus tard, The Square sert déjà de référence alors que Ruben Östlund revient encore avec un nouveau brûlot contestataire sur la lutte des classes, baptisé Triangle of sadness ou Sans filtre en VF. Östlund n’a rien perdu de sa verve contemptrice, tirant aux boulets rouges sur le mythe de l’égalité, le féminisme à deux balles, la comparaison capitalisme/communisme, le retour à la nature, l’expérience sociologique du pouvoir, etc.

Après la Fashion Week, Carl et Yaya, couple de mannequins et influenceurs, sont invités sur un yacht pour une croisière de luxe. Tandis que l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala approche.

Östlund n’a rien perdu de sa verve contemptrice, tirant aux boulets rouges sur le mythe de l’égalité, le féminisme à deux balles, la comparaison capitalisme/communisme, le retour à la nature, l’expérience sociologique du pouvoir, etc.

« Triangle of sadness » désigne la zone du visage entre les sourcils et l’arête du nez, qui concentre les expressions de tristesse d’une personne. Après un prologue rapide sur le monde des mannequins masculins, où nous apprendrons la différence entre Balanciaga et H&M, Östlund va découper son film en trois parties, commençant par une discussion acharnée entre Carl et Yaya, un couple de top-models qui a du mal à gérer le féminisme politiquement correct et l’art de régler l’addition aux restaurants. Ensuite vient la partie centrale, où le naufrage d’un yatch de luxe, accueillant de touristes richissimes, symbolisera le nettoyage des écuries d’Augias, entre vomi et diarhée, comme si cet excès de richesses devenait proprement (ou plutôt salement) insoutenable, à la manière de La Grande Bouffe, ainsi que le déclin d’une civilisation capitaliste, cf. le savoureux échange entre Woody Harrelson et Zlatko Buric, à coups de citations toutes plus drôlatiques les unes que les autres, provenant de Ronald Reagan ou de Karl Marx. Enfin, dans la troisième partie, une dizaine de passagers survivants se retrouvent sur une ile déserte où ils feront l’apprentissage de l’art de la survie et apprendront un autre ordre hiérarchique fondé sur les compétences réelles et non le pouvoir préattribué.

Dans les trois parties, comme à son habitude, Ruben Östlund se livre à une critique acerbe du politiquement correct et des moeurs frelatées de ses contemporains. Ce jeu de massacre a pour intérêt d’être extrêmement hilarant et décapant, nous mettant face à nos contradictions devant l’égalité des sexes ou le féminisme dominant, passant d’une conversation d’un couple à un restaurant à un naufrage de civilisation. La deuxième partie est peut-être excessive tandis que la troisième, en démonstration du darwinisme, s’avère sans doute la plus faible. Néanmoins on ne peut retirer à Ruben Östlund d’avoir de l’inspiration et de viser souvent très juste. Sa mise en scène sobre, essentiellement conçue en plans fixes, donne à chaque fois au gag l’occasion de se déclencher et de dégager son fumet de provocation utile, voire même essentiel, telle une soupape de sécurité, qui nous permet de nous esclaffer avec la politesse du désespoir, car comme écrivait Gainsbourg, de tous ces comportements ridicules et dérisoires, il vaut mieux en rire, de peur d’être obligé d’en pleurer.

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RÉALISATEUR :  Ruben Östlund
NATIONALITÉ : suédoise 
AVEC : Harris Dickinson, Charlbi Dean, Woody Harrelson, Zlatko Buric, Vicky Berlin
GENRE : Comédie, drame 
DURÉE : 2h30 
DISTRIBUTEUR : Bac Films
SORTIE LE 28 septembre 2022