Territorial pissings. Foin de grunge suicidaire, c’est bien du remake du célébrissime musical que je vais vous entretenir. L’original, je l’ai vu plusieurs fois quand j’étais petit, à la télé chez mes grands-parents. Sachez cependant que c’est un souvenir qui ne compte que peu pour moi. Le prénom Tony m’évoque bien davantage l’ami imaginaire logé dans l’index de Danny Torrance, ou, moins cinéphiliquement (et anachroniquement), la mascotte des céréales que ma sœur choisissait préférentiellement de déguster au petit déjeuner. Souvenez-vous, il existait des mini-boîtes vendues par lots, qui permettaient d’essayer toute la gamme Kellogg’s. J’ai pour ma part oscillé mon enfance durant entre Rice Krispies (trois lutins sous taz) et Choco Pops (un singe à casquette). Mon père, qui a toujours donné dans le classique, mangeait des Corn Flakes. Ma mère, dans son infinie sagesse, trouvait tout ça parfaitement dégueulasse. En tout état de cause, personne ne voulait jamais se dévouer pour finir les paquets d’infects Smacks ou Miel-je-ne-sais-plus-quoi. J’ai arrêté ces cochonneries à l’adolescence, me semble-t-il. Période pendant laquelle je rencontrai à nouveau WSS, sous la forme des paroles d’America à étudier en cours d’anglais. O tempora, la prof avait à peine jugé bon de nous faire écouter la chanson, encore moins de nous montrer le numéro.
Mais revenons à notre histoire de pipis territoriaux, Spielberg met à jour un certain nombre de paramètres, et pour commencer le territoire n’en est quasiment plus un. Les pauvres types sont des pauvres types, il n’ont même presque plus de rues à se disputer, vu qu’on est en train de tout démolir pour construire un opéra. Ce qui donne un cachet limite funèbre au film. Cependant funèbre n’est pas synonyme de rigor mortis, loin de là. Le Robbins/Wise organisait de façon assez statique des tableaux (au sens music-hall) pour accueillir les chorégraphies. Spielberg considère que la caméra fait elle-même partie des danseurs, et cherche à dynamiser au maximum chaque numéro. Je dis dynamiser, c’est un euphémisme tellement c’est un festival de mise en scène, dont la moindre des qualités n’est pas de relier par des rimes quasi langiennes les séquences — l’une se termine par tel geste, que la suivante reprend —, ni d’utiliser le décor pour exprimer le drame intérieur des personnages — je pense aux images où l’infortuné Tony est empêché par des barreaux, voire s’enferme lui-même derrière le rideau de fer de son magasin. Je parlais de Lang, il y a aussi des couleurs, des lumières et des ombres nettement expressionnistes. Je me demande par ailleurs si les orchestrations des chansons ne sont pas allégées par rapport aux originales. En tous cas le film donne une impression de vivacité, là où la version 1961 est à mon avis quand même pas mal pataude.
Et les comédiens sont super. Riff 2021 est beaucoup plus félin que Riff 1961 (lequel m’a toujours fait penser au Biff de Back to the Future). L’interprète la plus marquante de la version 1961 n’est à mon sens pas Natalie Wood mais Rita Moreno, qu’on retrouve ici en émouvante Valentina, sorte de remix de Doc (non, l’autre Doc). J’ai cru entendre des spectateurs se plaindre du couple vedette, trop fade à leur goût, en ce qui me concerne je les ai trouvés parfaits. L’échalas Ansel Egort (Tony) a un côté Tim Robbins meets Adam Driver, sa partenaire Rachel Zegler un étrange visage enfantin, tout à coup bouleversé par des mimiques de tragédienne.
A glooming peace this morning with it brings;
The sun, for sorrow, will not show his head:
Go hence, to have more talk of these sad things;
Some shall be pardon’d, and some punished:
For never was a story of more woe
Than this of Juliet and her Romeo.
Ce n’est cependant pas sur Tony et Maria, ces autres amants de Vérone, que se termine l’histoire, mais avec un personnage à la fois secondaire et essentiel au récit, le prétendant éconduit, l’instrument du fatum, je veux parler de Chino, que la caméra observe tristement depuis une hauteur au plan final. Après que tout a été consommé, le voici qui s’éloigne la tête basse vers son sort. Ce qui me permet de me justifier à bon compte de vous avoir assommé avec de sombres histoires de breakfast. Tout est dans tout car à la fin, eh, il est kaputt, Chino.