Justine Triet persiste et signe dans sa volonté de montrer des héroïnes « borderline », femmes libérées qui ne savent pas quoi faire exactement de leur liberté. Dans La Bataille de Solférino, remarqué à l’ACID et Victoria qui faisait l’ouverture de la Semaine de la Critique, elle se focalisait déjà sur ces figures de battantes, précieuses dans notre monde contemporain. Dans Sibyl, son nouveau film présenté au Festival de Cannes, elle retrouve Virginie Efira, en passe de devenir son alter ego officiel et élargit sa palette, passant de la « screwball comedy » à une comédie dérivant vers le drame et les interrogations existentielles féminines.
Sibyl représente une belle tentative pour acclimater la comédie psy à la manière de Woody Allen à notre contrée plus cartésienne et moins introspective.
Sibyl (Virginie Efira) est une ex-romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot(Adèle Exarchopoulos), une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir. En plein tournage, elle est enceinte de l’acteur principal (Gaspard Ulliel)… qui est en couple avec la réalisatrice du film (Sandra Huller, revenue de Toni Erdmann). Tandis qu’elle lui expose son dilemme passionnel, Sibyl, fascinée, l’enregistre secrètement. La parole de sa patiente nourrit son roman et la replonge dans le tourbillon de son passé.
Dans la première partie du film, grâce à un montage très affûté, Sibyl alterne confessions de psychanalysés, retours dans le passé et atermoiements du présent. On reconnaît sans trop de difficulté l’influence de Woody Allen, en particulier celle revendiquée d’Une Autre Femme, dans ces questionnements incessants sur la conscience, le choix, le mensonge, ce qu’on aurait dû faire et ce qu’on pourrait faire aujourd’hui. Alors que Sibyl veut redevenir romancière et jouer un rôle actif à l’opposé de l’activité a priori passive de psychanalyste, elle décide de garder une seule patiente, une actrice en détresse, Margot. Ce qui pourrait paraître une erreur va s’avérer une chance pour sa vie.
La deuxième partie du film, se passant sur le tournage d’un film, avec mise en abyme obligatoire, est nettement plus risquée et malheureusement moins réussie. Se passant aux alentours du volcan rossellinien de Stromboli, elle bénéficie pourtant de l’apport non négligeable de Sandra Huller (Toni Erdmann) qui réussit le prodige de se montrer à la fois très drôle et immensément pathétique, en réalisatrice dépassée par les événements. Mais l’ensemble se résume à un adultère pratiqué entre personnes consentantes, qui finit par déclencher les effets normalement induits, jalousie, mortification et sentiment de rejet. En dépit de péripéties assez bien vues, (l’oreillette), cette partie reste dans le domaine du convenu.
Confirmant l’essor pris grâce à Victoria, Sibyl est surtout l’occasion pour Virginie Efira de confirmer toute sa palette dramatique. Elle est certes encore un peu jeune et en retrait pour concurrencer Gena Rowlands qui n’avait guère de concurrence dans ce registre de protagonistes borderline. Même si le film se perd parfois dans ses effets et ses intentions, Sibyl représente une belle tentative pour acclimater la comédie psy à la manière de Woody Allen à notre contrée plus cartésienne et moins introspective.
RÉALISATEUR : Justine Triet NATIONALITÉ : française AVEC : Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel, Sandra Huller, Laure Calamy, Niels Schneider GENRE : comédie dramatique DURÉE : 1h40 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 24 mai 2019