Winter Break : éloge d’une « famille » improbable

L’annonce d’un nouveau long métrage d’Alexander Payne ne suscitait pas chez l’auteur de ces lignes, il faut bien l’avouer, un enthousiasme démesuré. Bien au contraire. Reconnu à l’international avec Monsieur Schmidt en 2002 (bien aidé par la performance de Jack Nicholson), Payne s’est montré très inégal par la suite, ne dévoilant pas un talent particulier de mise en scène dans des road-movies pépères et lénifiants (qu’on se souvienne du très lisse The Descendants ou de l’insupportable Nebraska). Mais, Winter Break, qui sort assez timidement en cette fin d’année riche en émotions cinématographiques, change quelque peu la donne : le cinéaste livre ici son meilleur film, le plus abouti, le plus beau et le plus juste.

Le cinéaste livre ici son meilleur film, le plus abouti, le plus beau et le plus juste.

Hiver 1970 : M. Hunham est professeur d’histoire ancienne dans un prestigieux lycée d’enseignement privé pour garçons de la Nouvelle-Angleterre. Pédant et bourru, il n’est apprécié ni de ses élèves ni de ses collègues. Alors que Noël approche, M. Hunham est prié de rester sur le campus pour surveiller la poignée de pensionnaires consignés sur place. Il n’en restera bientôt qu’un : Angus, un élève de première aussi doué qu’insubordonné. Trop récemment endeuillée par la mort de son fils au Vietnam, Mary, la cuisinière de l’établissement, préfère rester à l’écart des fêtes. Elle vient compléter ce trio improbable.

Alexander Payne ne cache pas ses influences directes (Merlusse, un film de Marcel Pagnol de 1935, sur un surveillant de lycée contraint de passer Noël avec quelques élèves de son établissement, oubliés par leur famille) ni son obsession (qu’il partage avec pas mal de réalisateurs de sa génération) pour les années 70 pendant lesquelles il a grandi et qu’il met clairement en scène dans son dernier film. Ainsi, dès les premières séquences, le spectateur se retrouve plongé dans cette décennie par l’aspect « pellicule » de l’image, par le biais de la bande-son qui grésille mais aussi par les couleurs désaturées ou le tournage en décors réels (dans le Massachussetts). L’ensemble apporte alors une palette graphique, une ambiance très seventies. On en vient même à penser à d’autres longs métrages réalisés à la fin des années 60 ou au début des années 70, tel If…. de Lindsay Anderson, Palme d’or à Cannes en 1969.

Ces trois solitudes, des « êtres à la marge », partagent de nombreux points communs et d’une certaine manière, se complètent

Tout au long de Winter Break, la caméra de Payne suivra ses trois personnages contraints de cohabiter ensemble pendant les fêtes. Elégant et classique, le film n’en demeure pas moins très beau et bien moins dévitalisé que les œuvres précédentes de Payne. Cela s’explique, à n’en pas douter, par la justesse de l’interprétation de Paul Giamatti (qui retrouve le cinéaste, vingt ans après Sideways), de Dominic Sessa dans le rôle d’Angus (une révélation) ainsi que celle de Da’Vine Joy Randolph, bouleversante dans le rôle de Mary dont le fils vient de mourir récemment au Vietnam. En relation avec le jeu des acteurs / actrice, l’une des qualités du long métrage, et pas des moindres, réside dans l’écriture du scénario et des personnages. Payne s’attache à chacun d’entre eux, les rendant assez complexes et donc touchants, y compris dans leurs maladresses ou leurs erreurs. En réalité, tous les trois (le professeur, la cuisinière et l’élève) possèdent des blessures, des fêlures qui permettent d’expliquer leur comportement. La colère et l’arrogance d’Angus cachent un mal-être lié à la situation familiale, notamment celle de son père (d’où le rapprochement avec M. Hunham, figure paternelle) ; Mary a perdu son fils mais ne semble pas vivre réellement son deuil, finissant littéralement par s’écrouler (dans une scène magnifique, dans la cuisine de la maison d’une femme qui les a invités à passer Noël, elle hurlera de douleur, loin d’être apaisée) ; même le professeur d’histoire, bougon et cynique, échappe à la caricature de l’enseignant exécrable et détesté par ses élèves, à laquelle semblait l’assigner le récit initial, tout en révélant son problème avec l’alcool. Winter Break montre alors une progression tout au long du « voyage », à la fois pour chacun des personnages (dans le rapport qu’ils entretiennent avec les autres ainsi que dans la gestion de leurs émotions et de leurs problèmes) mais aussi au sein du trio improbable qui le devient de moins en moins. Ces trois solitudes, des « êtres à la marge », partagent de nombreux points communs et d’une certaine manière, se complètent. Par leurs actions, ils vont faire voler en éclats les apparences (souvent trompeuses). Cela donne l’occasion de très jolies scènes de convivialité, de connivence même qui succèdent à celles, froides et distantes, vues dans la première moitié du film.

Cette balade douce-amère, mélancolique et parfois drôle constitue sans nul doute l’une des bonnes surprises de cette fin d’année. Il serait donc extrêmement dommage de s’en priver.

Déroulant son programme avec sensibilité, délicatesse et intelligence, sans jamais révolutionner le genre (mais après tout, est-ce une obligation ?), Winter Break est une indéniable réussite, qui arrache quelques larmes dans une seconde partie et un final certes un peu trop attendu (probablement le seul reproche que l’on peut faire au film) mais qui évite toutes mièvrerie et nostalgie rances. Cette balade douce-amère, mélancolique et parfois drôle constitue sans nul doute l’une des bonnes surprises de cette fin d’année. Il serait donc extrêmement dommage de s’en priver.

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RÉALISATEUR : Alexander Payne
NATIONALITÉ :  États-Unis
GENRE : Comédie dramatique
AVEC : Paul Giamatti, Da’vine Joy Randolph, Dominic Sessa
DURÉE : 2h13
DISTRIBUTEUR :  Universal Pictures International France 
SORTIE LE 13 décembre 2023