White noise : entre l’anecdotique et le mémorable

Aux Etats-Unis, Noah Baumbach et Greta Gerwig occupent un peu dans le cinéma indépendant américain la même situation en miroir que l’ex-couple formé par Olivier Assayas et Mia Hansen-Løve dans le cinéma d’auteur français. Deux metteurs en scène-scénaristes en couple après que l’une ait tourné en rôle principal (Greenberg, Frances Ha et Mistress America pour Greta Gerwig) ou secondaire (Fin août, début septembre, Les Destinées sentimentales pour Mia Hansen-Løve) dans les films de l’autre (Baumbach ou Assayas). Un couple assez « hype », moderne, stylé et charismatique, formé entre un Pygmalion et sa muse, alors que la muse s’émancipe de plus en plus, en devenant elle-même réalisatrice et en constituant progressivement une oeuvre (huit films pour Mia Hansen-Løve, trois films pour Gerwig, dont le très attendu Barbie en 2023). Il s’est néanmoins passé sept ans avant que Greta Gerwig ne tourne à nouveau devant la caméra de Noah Baumbach. Film d’ouverture de la Mostra de Venise 2022, White noise, le troisième film de Baumbach, en collaboration avec la plateforme Netflix, après The Meyerowitz Stories et Marriage story, célèbre les retrouvailles de Baumbach et Gerwig, où les meilleures scènes viennent d’ailleurs des scènes de couple entre Adam Driver, alter ego du réalisateur, et la lumineuse Gerwig. En dehors de cela, cette adaptation d’un célèbre roman de Don DeLillo peine à trouver son ton et son rythme au travers de trois parties plus ou moins inégales.

Dans les années 80, Jack Gladney est professeur d’études hitlériennes (discipline qu’il a lui-même fondée). Avec Babette sa quatrième épouse, il élève une famille recomposée de quatre enfants : Heinrich et Steffie, issus de deux précédents mariages de Jack, Denise, issue du précédent mariage de Babette, et Wilder, un enfant qu’ils ont conçu ensemble. Dans ses rêves, il est hanté par un homme mystérieux qui semble représenter sa peur de la mort. A la suite d’un accident ferroviaire, un nuage toxique provoque une évacuation générale de la ville, à laquelle participe la famille de Jack et Babette…

Dans White noise, l’anecdotique et le mémorable cohabitent mais le plus souvent au détriment du mémorable, comme si Netflix avait un peu rendu Baumbach mercenaire dans ce film, l’obligeant à satisfaire au cahier des charges du film catastrophe à grand spectacle, dans la tradition des films Netflix de fin d’année.

Don DeLillo est un écrivain américain extrêmement complexe à adapter, de manière comparable à William Gibson. Ses romans sont la plupart du temps denses et fourmillent d’intrigues, ce qui explique que, contrairement à un Stephen King, il ait été rarement adapté au cinéma. Seul Cosmopolis a connu une adaptation plutôt fidèle par David Cronenberg, présentée au Festival de Cannes 2012, qui n’a pas déchaîné les passions. Avec White Noise, Baumbach restitue l’essentiel du roman Bruit de fond mais interroge sur la nature cinématographique du travail de DeLillo. La pluralité de thèmes, sa manière métaphorique de décrire la société d’aujourd’hui, sa manière de ne pas privilégier des personnages, impliquent un travail d’adaptation difficile pour rendre cinématographique ce qui est littérairement intéressant, voire passionnant,

Baumbach a ainsi divisé son film en trois parties à peu près égales : Ondes et radiation, Un épisode aérien toxique et Dylarama, du nom du médicament consommé clandestinement par Babette, pour chasser son angoisse de la mort. Or la première partie n’est qu’une longue exposition, sans le moindre incident dramatique, où l’on assiste à une glorification satirique des accidents spectaculaires et des cours sur la vie d’Hitler ; la deuxième concentre toute l’action d’un film à grand spectacle, voire d’horreur, Jack, Babette et leurs enfants devant fuir un nuage toxique censé apporter une mort certaine ; la troisième voit les Gladney réagir aux conséquences de leur confrontation directe avec la mort. Le paradoxe réside dans le fait que la partie la moins intéressante du film est de très loin celle qui concentre le maximum d’action. On imagine que Baumbach a souhaité élargir sa palette et essayer de mettre en scène à la manière d’un Spielberg (Rencontres du Troisième type, La Guerre des mondes). Il s’en sort avec les honneurs, sans forcément marquer les esprits. Car, là où Baumbach se montre de très loin le meilleur, c’est incontestablement dans les séquences de couples et de famille (où l’on redécouvre Raffey Cassidy, aperçue auparavant dans Mise à mort du cerf sacré), dans les séquences psychologiques où il ne se passe apparemment pas grand’chose. Certes, il est possible de lire une métaphore de la pandémie dans l’intrigue de White Noise, à travers l’angoisse de la mort qui y prédomine ainsi que des ravages psychologiques qui en découlent. Malheureusement, Baumbach traite cet aspect symbolique un peu trop en filigrane, hormis quelques rares scènes qui valent le détour.

Deux des meilleures séquences sont ainsi celles qui opposent au début et à la fin du film Adam Driver et Greta Gerwig. Tout y est dit du contenu du film : l’amour-rivalité entre les deux membres du couple, la peur de la mort qui les tenaille tous les deux. Ce qui attriste un peu, c’est que tout le reste paraît au regard de ces deux scènes, complètement anecdotique. Or Baumbach alterne souvent dans son oeuvre entre l’anecdotique (les dispensables The Meyerowitz Stories, When we were young) et le mémorable (les remarquables Greenberg, Frances Ha, Marriage Story). Dans White noise, les deux cohabitent mais au détriment du mémorable, comme si Netflix avait un peu rendu Baumbach mercenaire dans ce film, l’obligeant à satisfaire au cahier des charges du film catastrophe à grand spectacle, dans la tradition des films Netflix apocalyptiques de fin d’année (cf. Don’t look up) alors que sa nature profonde ne l’entraîne guère sur ce terrain. Le dernier quart d’heure, assez bouffon, semble ainsi démentir la profondeur existentielle du drame de Jack et Babette. Très vite vu, assez vite oublié, White noise représente un nouveau rendez-vous manqué entre le cinéma et l’oeuvre de DeLillo, hormis un générique de fin sous forme de comédie dansée dans un supermarché, retrouvant la jolie fantaisie ludique propre à Baumbach, qui aurait mérité d’être davantage mise en valeur dans le film. Malheureusement White noise est déjà presque terminé… Etant donné le principe d’alternance à l’oeuvre dans sa filmographie, on espère retrouver Baumbach plus inspiré dans son prochain film.

2.5

RÉALISATEUR :  Noah Baumbach
NATIONALITÉ : américaine 
GENRE :  Drame, comédie
AVEC : Adam Driver, Greta Gerwig, Don Cheadle, Raffey Cassidy, Lars Eidinger. 
DURÉE : 2h16 
DISTRIBUTEUR : Netflix 
SORTIE LE 30 décembre 2022