Souvenez-vous, sept ans auparavant, la critique, les Oscars, le public s’étaient tous enflammés pour Les Bêtes du Sud sauvage, premier film d’un metteur en scène inconnu, Benh Zeitlin, qui faisait montre d’une alliance de fraîcheur et de maturité étonnantes dans son style cinématographique. Sept ans plus tard, voici l’heure venue de la redoutable épreuve du deuxième film. L’effet de surprise étant passé et le phénomène de retour de bâton étant bien présent dans la critique, Wendy a été accueilli plutôt fraîchement par l’ensemble de la critique, en particulier dans une année marquée par la pandémie. Pourtant cette libre réinterprétation de l’oeuvre de Peter Pan fait preuve des mêmes qualités, poésie, inventivité, rythme trépidant, communion avec la nature et l’enfance, que le précédent film. Wendy irait même plus loin, poussant le style jusqu’aux limites de l’expérimentation. Et si, dans la conscience cinéphile, Les Bêtes du Sud sauvage était largement surestimé et Wendy terriblement sous-estimé?
Wendy est une sorte d’opéra sensoriel, où l’essentiel réside dans le mouvement et les émotions : comme l’énonce la protagoniste éponyme dans un résumé synthétique de l’esprit du film, « ne jamais ralentir, Ne jamais hésiter. Si la tristesse t’envahit, on la fait sortir et disparaître ».
Wendy et ses deux frères jumeaux Doug et James grandissent tranquillement dans une famille de la Louisiane. Un jour, Thomas, un de leurs amis, disparaît en sautant dans un train en marche. Quelques années plus tard, grignotés par l’ennui, Wendy et ses deux frères décident de faire la même chose, en sautant de nuit dans un train magique où ils découvrent un dénommé Peter qui va les mener jusqu’à un Pays Imaginaire….
Dès la première phrase de voix off de Wendy, « Je vais vous raconter l’histoire d’enfants qui se sont envolés…« , le charme de l’univers magique et dynamique de Benh Zeitlin opère. Le spectateur est embarqué dans une fantasmagorie, une cavalcade vers l’imaginaire qui fait fi de toute vraisemblance ou de toute référence à une quelconque actualité. On se trouve d’emblée dans le domaine du conte, avec des enfants aventureux et surpuissants, une mère célibataire qu’ils vont fuir alors qu’ils l’aiment de tout leur coeur, un garnement facétieux qui va les conduire jusqu’à l’Ile des Enfants perdus. Benh Zeitlin se soucie peu de rationalité, de narration ou de dramaturgie. Wendy est une sorte d’opéra sensoriel, où l’essentiel réside dans le mouvement et les émotions : comme l’énonce la protagoniste éponyme dans un résumé synthétique de l’esprit du film, « ne jamais ralentir, Ne jamais hésiter. Si la tristesse t’envahit, on la fait sortir et disparaître« .
Benh Zeitlin fait ainsi partie des metteurs en scène lyriques et poétiques, des cinéastes-nés qui filment sans cesse en mouvement, donnant un effet à la fois réaliste et onirique à chaque plan. Il possède l’une des rares qualités qui n’appartiennent qu’à peu de metteurs en scène (Spielberg, Truffaut), pouvoir tourner de manière crédible avec des enfants. On l’a vu dans Les Bêtes du Sud sauvage avec la révélation stupéfiante de cette enfant d’une dizaine d’années, Quvenzhané Wallis. Il réédite la performance en multipliant par cinq ou six le nombre d’enfants, avec une facilité déconcertante. Il se situe dans l’héritage d’un Charles Laughton (La Nuit du chasseur) ou d’un Terrence Malick (Les Moissons du ciel) dans sa manière de communier avec la nature et d’exprimer des émotions pures et vraies. Parmi les cinéastes du Southern Gothic (Jeff Nichols, David Gordon Green), Benh Zeitlin se signale par l’attention omniprésente donnée à la bande musicale et l’énergie constante de sa mise en scène, n’offrant guère de répit à ses personnages. Il ne se contente pas de retranscrire la légende de Peter Pan, il la réinterprète selon la sensibilité d’aujourd’hui : Wendy devient une gamine volontaire, Peter Pan est noir et le Capitaine Crochet est assimilé à un être profondément blessé par la tragédie de l’existence. On peut d’ailleurs considérer que Wendy, crime de lèse-majesté, est largement supérieur à Hook de Steven Spielberg. Au moins trois séquences s’avèrent extraordinaires dans le film : celle où Wendy force les clients d’un café à danser sur une musique qui n’existe pas, en les suppliant de recourir à leur imagination, celle ensuite où un chant choral ressuscite la Mère, étrange créature sous-marine, enfin celle où Wendy devenue adulte peine à courir derrière le train hanté, et où Wendy enfant se substitue à elle. L’on s’aperçoit alors que le train, figure cinématographique par excellence, représente sans doute le meilleur symbole tragique du temps qui défile devant nous et derrière lequel on court pour essayer de le rattraper.
Car il s’agit dans Wendy de retrouver les vertus de l’enfance : l’absence de doute (« Douter, c’est déjà être vieux »), l’imagination au pouvoir, la capacité onirique. Pourtant, au bout du chemin, Wendy et ses amis découvrent que vieillir constitue peut-être la plus belle des aventures et qu’« il y avait de la magie partout et pas seulement sur l’île de Peter ». Ne manquez pas pour autant ce train magique qui vous fera retrouver le véritable esprit d’enfance.
RÉALISATEUR : Benh Zeitlin NATIONALITÉ : Américaine AVEC : Devin France, Yashua Mack, Gage and Gavin Naquin GENRE : Fantastique, Drame DURÉE : 1h52 - DISTRIBUTEUR : Condor Distribution SORTIE LE 23 juin 2021