Vivre, mourir, renaître : l’amour à l’épreuve du VIH

La projection du nouveau long métrage de Gaël Morel sur la Croisette dans la section Cannes Première devait avoir une saveur particulière pour son auteur : il y a trente ans, en 1994, il était la révélation en tant qu’acteur du bouleversant Les Roseaux sauvages (André Téchiné), alors présenté à Un Certain Regard. Pourtant Gaël Morel s’est toujours destiné à la mise en scène. Après notamment A toute vitesse ou Après lui (passé par la Quinzaine des réalisateurs en 2007), Vivre, mourir, renaître est son septième long métrage. Et probablement l’un de ses plus réussis.

“Le sujet principal, c’est une histoire d’amour, modifiée et intensifiée par la maladie. C’est une love story du côté de la vie, une vie qui continue et s’obstine malgré le tragique en embuscade.”

Emma aime Sammy qui aime Cyril qui l’aime aussi. Ce qui aurait pu être un marivaudage amoureux à la fin du siècle dernier va être dynamité par l’arrivée du sida. Alors qu’ils s’attendaient au pire, la destinée de chaque personnage va prendre un virage inattendu.

Gaël Morel avait pour projet de réaliser un documentaire sur les personnes sauvées du Sida grâce aux trithérapies développées dans les années 1990. Mais ce qu’il voulait raconter au fond relevait davantage d’une jeunesse condamnée par la maladie, en ayant recours à la fiction. “Le sujet principal, c’est une histoire d’amour, modifiée et intensifiée par la maladie, explique le réalisateur. C’est une love story du côté de la vie, une vie qui continue et s’obstine malgré le tragique en embuscade.”

Se moquant des conventions et des stéréotypes du film d’amour à trois, le cinéaste aborde un moment difficile pour toute une génération, l’irruption du SIDA. Dans Vivre, mourir, renaître (un titre qui sonne comme un programme), il suit avec délicatesse et bienveillance chacun des personnages (sans jamais juger leurs actes), aidés par des performances remarquables de justesse de Théo Christine (vu dans Suprêmes dans le rôle de Joey Starr ou dans Vermines de Sébastien Vanicek), de Victor Belmondo ou de Lou Lampros. La relation qui se noue entre les trois protagonistes est en effet très belle, à l’image de la relation brûlante de désir entre Cyril, photographe, et Sammy, ce dernier étant pourtant en couple avec Emma qui finit même par accepter la bisexualité de son mari, nécessaire à son épanouissement, malgré une part de jalousie évidente. L’arrivée d’un enfant et surtout de la maladie changera tout cela, donnant alors au film un caractère d’urgence (c’est le début du titre, le mot « vivre »). La peur de « mourir » (deuxième élément du titre) surgit, et crée une atmosphère de tristesse face à la déchéance physique de Sammy qui se sait condamné et qui, malgré tout, entend continuer à mener son existence. Ce sont des moments déchirants, comme lors du voyage en Italie dans une ville côtière, contraste saisissant entre la beauté des paysages et ce qui est en train de se jouer pour Sammy.

Dans Vivre, mourir, renaître (un titre qui sonne comme un programme), il suit avec délicatesse et bienveillance chacun des personnages (sans jamais juger leurs actes).

L’un des atouts de Vivre, mourir, renaître, au-delà de la performance des interprètes, réside dans les choix de mise en scène de Gaël Morel. Porté par une énergie et un rythme soutenu, le long métrage possède un indéniable aspect romanesque, que l’utilisation de la musique vient renforcer. Évitant l’emphase et le pathos, le film se veut pudique et sensible. On peut citer l’un des morceaux les plus connus de la bande son, qui d’ailleurs a été entendu à plusieurs reprise durant le festival de Cannes cette année : Modern Love de David Bowie (1983), entendu lorsque Cyril et Sammy courent dans la rue à la recherche de préservatifs pour pouvoir faire l’amour. Un moment évocateur, revisitant ainsi un passage de Mauvais sang de Leos Carax (1986) avec la même chanson, dans un même mouvement cinématographique, un travelling latéral, mais pour une conclusion bien différente.

Vivre, mourir, renaître joue sa propre partition et sonne comme une œuvre forte, nécessaire, très personnelle pour son auteur.

S’il s’inscrit dans la série d’œuvres ayant abordé frontalement cette maladie et le choc que cela a représenté pour toute une génération (des Nuits fauves de Cyril Collard en 1992 à Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré en 2018, en passant par 120 battements par minute de Robin Campillo en 2017), Vivre, mourir, renaître joue sa propre partition et sonne comme une œuvre forte, nécessaire, très personnelle pour son auteur.

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RÉALISATEUR : Gaël Morel
NATIONALITÉ : France 
GENRE : Drame
AVEC : Lou Lampros, Victor Belmondo, Théo Christine
DURÉE : 1h49
DISTRIBUTEUR : ARP Sélection
SORTIE LE 25 septembre 2024