La sélection a son lot de films qui viennent interroger ce qu’est le cinéma aujourd’hui, quel sera son avenir et comment chaque réalisateur l’appréhende : en témoignent au moins la dernière comédie très personnelle et prétentieuse de Gondry, Le Livre des solutions, la fiction tendre et mélancolique, presque figée de Kaurismaki (Les Feuilles mortes) quand ce n’est pas le documentaire de Lubna Playoust, Chambre 999, venue interroger sur le modèle du film de Wenders, nombre de cinéastes dans une chambre du Martinez. Vers un avenir radieux, qui voit son titre, dès l’ouverture, s’écrire à gros traits rouges sur la façade d’un pont romain par deux encordés – belle fantaisie comme il y en aura d’autres durant le film – n’a rien d’une prédiction et n’est pas une antiphrase, alors qu’est-ce que c’est ?
Film fourre-tout, film hommage, autofiction et mise en abyme d’un tournage, un Moretti en pleine forme qui danse, qui court, qui chante, mais… ne fait plus l’amour…
Alors que Giovanni – le vrai prénom de Nanni Moretti – est en train de tourner un film – dont les musiques sont composées par sa fille et que sa femme Paola interprétée par la toujours magnifique Margherita Buy soutient – dont le coproducteur véreux l’abandonne – hystériquement incarné par Mathieu Amalric –, alors qu’il devrait se conformer à travailler avec le riche Netflix – chance à lui, des Coréens apprécieront son scénario – sans quoi le tournage sera interrompu, sa femme lui annonce qu’elle le quitte, sa fille le présente à son nouveau mais vieil amoureux polonais de Jerzy – clin d’œil au cinéaste Jerzy Skolimowski ? –, il intervient dans un autre film que son épouse produit car il n’adhère pas à la violence qu’il propage, et il finit par douter sur l’issue de son propre scénario dont le récit se finit sur le suicide d’un des protagonistes principaux… Waouh. Nanni Moretti reste fidèle à ses engagements même lorsque l’intime vient croiser la fiction, ici l’autofiction avec les problèmes personnels que rencontre le cinéaste, en traitant de l’arrivée des chars russes à Budapest, en 1956, année de la révolution hongroise à se rebeller contre la domination soviétique – comment ne pas penser aux événements actuels entre l’Ukraine et la Russie, que met également en avant Kaurismaki dans ses Feuilles mortes – avant de subir une répression violente, ce que le récit met en scène, déplaçant l’histoire de l’événement à Rome avec la venue du cirque Budavari, accueilli par Ennio et Vera, qui dirigent l’antenne locale du Parti communiste italien, finiront en désaccord sur la manière de soutenir l’insurrection hongroise ou le parti communiste russe…, question d’obéissance ou de résistance… Vers un avenir radieux est donc un film qui parvient, avec son montage alterné – le film de Giovanni, celui de son concurrent –, ses scènes intimistes multiples – son épouse chez le psy, sa fille chez son amant, Giovanni dans ses propres décors de cinéma –, l’intégration d’images d’archives en noir et blanc –sur Budapest ou en lien avec le journal L’Unità du Parti communiste italien – ou les passages discursifs sur la violence au cinéma ou la soumission au mainstream et les gags divers qui les entourent avec humour – l’appel impromptu à Martin Scorsese, l’interruption du tournage de la scène finale de l’autre film, l’échange entre Netflix et Giovanni –, à ne pas trop être fourre-tout grâce à la maîtrise qu’on connait à Moretti – art du récit, de la mise en abyme, des croisements et du décalage – même s’il n’en finit pas de ressasser le passé, de critiquer le présent, et de discourir sur comment on s’en sort aujourd’hui dans le 7e art. Par ce faire, le film fonctionne comme un tract, un appel à la résistance – cf. l’issue du film dans le film –, mais aussi et surtout comme un appel à l’émancipation et à la libération – au passage, la fille de Giovanni s’émancipe de ses parents, la femme de lui, son producteur disparaît, il fait aller son film du côté lumineux des happy-end plutôt que du passéisme et du néant, même s’il continue de tourner autour d’un rond-point de la place Mazzini avec une trottinette et plus une vespa – cf. Journal intime –, et qu’il n’a pas fait le film d’amour accompagné de chansons italiennes dont il rêvait…
Vers un avenir radieux illustre de quelles solidarité et résistances le cinéma et la vie devraient être faits : mieux vaut être radieux… que radiés…
C’est donc finalement un film qui parle plus du temps qui passe que du passé ou de l’avenir, et dans ce temps, questionne l’idée du cinéma, quand, comment et pourquoi en faire – Giovanni qui parle de ses films qu’il fait tous les cinq ans, alors que sa femme l’accompagne depuis 40 et qu’elle a produit 30 de ses œuvres –, en rendant hommage aux plus grands – de Kieslowski avec Tu ne tueras point à Cassavetes, de Penn avec La Poursuite incroyable à Ophuls… Moretti reste un endurant, et presque un nageur parcourant toute une vie – cf. la scène de natation pour un film qui ferait traverser au personnage toutes piscines de la ville pour arriver chez lui ! –, fidèlement, et sans traîtrise, apparemment son leitmotiv assumé…
RÉALISATEUR : Nanni Moretti NATIONALITÉ : Italie GENRE : Comédie dramatique AVEC : Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando, Barbora Bobulova, Mathieu Amalric, Zsolt Anger, Jerzy Stuhr, Arianna Pozzoli, Valentina Romani, Teco Celio, Elena Lietti, Flavio Furno DURÉE : 1h36 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 28 juin 2023