Vera : dans l’ombre d’un père

Vera, de Tizza Covi et Rainer Frimmel, présenté lors de l’édition 2022 de la Mostra de Venise où Vera Gemma a reçu le Prix Orizzonti de la meilleure actrice, raconte l’itinéraire de la fille de Giuliano Gemma, célèbre acteur italien connu pour ses rôles dans de nombreux westerns. Sans devenir une œuvre à la gloire de ce défunt père, ce long-métrage explique combien il est difficile de marcher sur les pas d’un père reconnu, d’exister dans le chemin de la célébrité, dans une famille où l’appétit pour le cinéma et les prestations artistiques se transmet. Nous connaissons déjà l’interprète de Un Pistolet pour Ringo. Voici maintenant la découverte de cette Vera, qui se met à nu devant la caméra, avec beaucoup de simplicité et d’honnêteté, loin du strass et des paillettes indissociables de ce milieu, une femme attachante et entière se rapprochant d’un milieu populaire si éloigné de son environnement habituel. Dans un style presque néoréaliste, le duo de cinéastes explore deux mondes parallèles rentrant en collision, tout en expliquant que la célébrité n’est qu’illusoire.

Après un accident de la route, une actrice aux cheveux blond platine décide d’aller à la rencontre de Daniel et Manuel. Elle va alors constater le quotidien d’une autre société.

Rêve d’accession à la notoriété, volonté de continuer le travail artistique initié par Giuliano Gemma, de perpétuer son héritage… Vera aurait pu décrire le parcours d’une artiste aimant le luxe et ses agréables commodités. Toutefois, ce film produit l’image d’une femme désireuse de découvrir d’autres horizons, désintéressée par l’aspect luxueux de la notoriété, quitte à s’immiscer dans un univers étranger.

L’ombre de Giuliano Gemma plane dans ce film où nous ressentons sa présence fantomatique, lui qui figure parmi les meilleurs acteurs de sa génération. Mort dans un accident de voiture, l’acteur vu dans Angélique, Marquise des anges laisse une trace indélébile dans le paysage cinématographique italien, une empreinte que nous devinons dans cette œuvre, à travers les dialogues et les plans, preuve que son influence reste importante. Vera Gemma honore la mémoire de son père, en retrouvant des centaines de bobines conservées dans des cartons, elle qui possède également cette passion pour le cinéma, un art vital et nécessaire pour cette femme habituée à passer des essais et dont les deux seuls films notables sont Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento et Scarlet Diva de Asia Argento, son amie avec qui elle discute dans les allées d’un cimetière, devisant sur la question de la notoriété, du sens d’être fille de. Vera ne montre pas l’actrice, mais l’enfant de Giuliano Gemma, devenu une femme anciennement adepte des soirées mondaines, appartenant au milieu classe et extravagant du cinéma, mais délaissant progressivement ce petit monde qu’elle juge superficiel et si distant. Tizza Covi et Rainer Frimmel livrent la description d’une artiste un peu désabusée dans un microcosme dédaignant les tristes réalités, lassée de vivre au jour le jour et d’appartenir à une société riche et bourgeoise. Sans faire une critique de la célébrité, le tandem dénonce toutefois un système élitiste, un business dominé par l’argent, que Vera finit par rejeter. Courant après les cachets, menant difficilement sa carrière et végétant dans l’ombre de feu son père, l’actrice italienne tente de survivre en tant qu’enfant de Giuliano Gemma, une étiquette dure à porter, avec un nom de famille ouvrant une porte vers le showbiz, où Vera ne se sent guère à l’aise. Le film questionne sur cette notion de renommée, précisément la façon dont on doit gérer l’héritage artistique et ce patronyme très apprécié, une chose complexe pour beaucoup ainsi que pour cette femme peinant à se démarquer de son illustre nom et d’être reconnue à sa juste valeur. En ne filmant pas les mondanités et les extravagances, ce film passionnant décrit une personne sincère cherchant sa place sur le chemin de la reconnaissance et qui se retrouve confrontée à une remise en question existentielle.

Vera se change en un témoignage touchant, sur quelqu’un souhaitant voir ce qu’est la vraie vie, loin de son confort, et ainsi se connecter à une population défavorisée vivant avec de maigres moyens. Alors, nous entrons dans une narration à la frontière du néoréalisme, ou deux sociétés opposées se rencontrent.

Le choc des mondes, l’opposition des modes de vie, l’un fastueux, l’autre plus misérable, voilà ce que résume aussi ce long-métrage expliquant ce long parcours de redécouverte de soi et d’exploration d’un climat bien plus austère que le faste. En entamant ce processus, Vera vit une réalité délicate, au contact de Daniel, travailleur pauvre, et son fils Manuel. Au fil des discussions se tisse une proximité inattendue, improbable, où la fille de star se trouve une autre famille dans les quartiers populaires de Rome, créant un contraste saisissant entre la pauvreté et la bourgeoisie, entre le rudimentaire et le fastueux. Ainsi se dévoile le portrait attachant d’une artiste en pleine déconnexion, franchissant les barrières séparant sa vie moderne de celle de cette banlieue romaine, où les superficialités s’effacent au profit d’une existence où règne la débrouillardise. En s’immisçant dans ce milieu modeste, Vera découvre une autre manière de subsister, aussi au jour le jour mais plus triste, et ce contact humain lui permet d’oublier sa condition sociale élevée, pour en épouser une autre, bien moins enviable mais dans laquelle elle veut s’intégrer et se trouver une utilité. Si elle finit par s’apercevoir de la véritable personnalité de ce Daniel, toutefois il est touchant de voir la sympathie et la profonde humanité de Vera Gemma qui n’hésite pas à affronter une classe différente, provoquant une collision tendre et poignante entre deux atmosphères où l’interrogation sur la notoriété existe. En tout cas, cette description attendrissante se trouve aux antipodes de la représentation de l’ambiance confortable d’une vie de star, sans photographies ni paraître, dans laquelle nous voyons toute l’entièreté d’une personne voulant se défaire de l’image de Giuliano pour devenir quelqu’un, une actrice, une citoyenne, Vera.

 

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RÉALISATEUR : Tizza Covi, Rainer Frimmel
NATIONALITÉ :  Autriche
GENRE : Drame
AVEC : Vera Gemma, Asia Argento, Daniel de Palma
DURÉE : 1 h 55
DISTRIBUTEUR : Les Films de l'Atalante
SORTIE LE 23 août 2023