Une robe pour Mrs Harris : de l’ombre des ouvriers à l’or au bout des doigts

Une robe pour Mrs Harris est la première adaptation cinématographique du roman de l’écrivain Paul Gallico paru en 1958. Le réalisateur Anthony Fabian se lance avec ce long métrage dans un projet qui le sort de son domaine habituel, celui des court-métrages et des documentaires. Pour cette première, il fait le choix d’une comédie grand public qui mêle stéréotypes français et bienveillance. Le long-métrage peut être vu comme une version rétro de la série Emily in Paris, bien que le film ne se résume pas seulement à de la légèreté.

L’ambiance générale du film demeure néanmoins principalement dans la jovialité et le divertissement. L’actrice Lesley Manville (Phantom Thread), solaire dans son incarnation du personnage de Mrs Harris, illumine chaque instant du film à la fois par sa gestuelle, ses intonations, son regard et son sourire. Pourtant, son personnage est celui d’une femme qui ne fait que contempler les richesses des autres. Alors que cette femme tâchait jusque-là de rester bien à sa place, le décès de son époux soldat, mort au combat, va marquer un moment radical de rupture dans sa vie. En effet, alors que l’une de ses clientes possède une splendide robe Christian Dior, Mrs Harris ressent pour la première fois depuis la nouvelle du décès de son conjoint un sentiment qui s’apparenterait pour la première fois à une émotion positive et, forte de toute sa détermination, décide de partir à Paris pour se rendre dans la maison de haute couture afin de se procurer une de ses créations.

L’arrivée de Mrs Harris à Paris représente un choc considérable pour elle car, issue d’un milieu social très modeste, elle se retrouve sans préavis au milieu d’un monde aux codes sociaux omniprésents et à la mentalité arrogante et méprisante. Or, elle ne se laisse pas faire et se crée sa place dans ce Paris marchand d’illusions. Ainsi, l’arrivée de cette femme de classe sociale très humble à Paris se transforme finalement en expérience imprévisible tant à son égard qu’à celui de la maison de couture sur laquelle elle jeta involontairement son dévolu. Or, cela ne sera pas sans conséquences pour l’avenir de la maison Christian Dior.

Le réalisateur va donner le rôle principal au personnel invisible mais nécessaire au bon fonctionnement de cette industrie et nous ne pouvons que saluer la mise en lumière de ces personnages de l’ombre.

Si cette comédie s’avère agréable à regarder, elle ne se résume pas seulement à un conte de fées dans un Paris idéal où tout est possible. La question des clivages sociaux se montre en effet très présente dans le film. Mrs Harris mène une quête pour s’affranchir de sa condition à travers la recherche de la robe parfaite. La gentillesse qui émane de celle-ci laisse à penser le temps du film que s’affranchir serait en définitive simple et à la portée de tous. En d’autres termes, en vertu de ce long métrage, tout laisse à penser que l’habit fait le moine. Or la narration porte sur le milieu de la haute couture où tout n’est a priori qu’apparence mais ne s’arrête pas en fait à la vitrine de l’avenue Montaigne. Ainsi, dans les coulisses de ce monde, le réalisateur va donner le rôle principal au personnel invisible mais nécessaire au bon fonctionnement de cette industrie et nous ne pouvons que saluer la mise en lumière de ces personnages de l’ombre. Les « petites mains » de la maison se trouvent pour une fois au centre de l’attention tandis que Christian Dior lui-même ne bénéficie que de quelques secondes qui lui sont dédiées.

Si Une robe pour Mrs Harris peut sembler de prime abord une comédie un peu simpliste et superficielle, très axée sur l’apparence, le film se déroule avec en toile de fond la lutte ouvrière, comme en témoigne la grève initiée par Mrs. Harris lorsque la directrice de la maison décide de supprimer des postes. Ainsi ce film n’est-il pas uniquement destiné à divertir mais porte au contraire en lui une véritable revendication menée toute en douceur, ce qui permet de toucher d’autant plus le spectateur qui ne se sent pas agressé par une injustice sociale à laquelle il serait trop brutalement confronté. A travers ce long-métrage, Anthony Fabian a donc réussi un équilibre assez rare entre la volonté de plaire et l’objectif de de servir une cause et cela n’étant pas, loin de là, une chose aisée, il convient de la saluer à sa juste valeur.

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RÉALISATEUR :  Anthony Fabian
NATIONALITÉ : Anglaise
AVEC : Lesley Manville, Isabelle Huppert, Lambert Wilson
GENRE : comédie dramatique
DURÉE : 1h56
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 2 novembre 2022