Une Famille : la colère d’Angot

Le grand public la connaît surtout parce qu’elle a été quelques années chroniqueuse dans une émission vespérale de Laurent Ruquier mais Christine Angot est surtout écrivaine et même membre de l’Académie Goncourt depuis 2023. Dans son oeuvre littéraire, Christine Angot est revenu plusieurs fois sur le traumatisme fondateur à l’origine de ses livres : l’inceste et les viols répétés qu’elle a subis de la part de son père. Alors qu’il avait fui le domicile conjugal, il avait fini par la reconnaître, elle qui avait pris le nom de sa mère, Schwartz, mais comme si cette reconnaissance et le fait de lui donner son nom (Angot) devaient avoir un prix, son père les lui a faits chèrement payer. Cette fois-ci, c’est par le cinéma qu’elle aborde à nouveau cette histoire qui résonne désormais avec une ampleur extraordinaire depuis #MeToo, l’idée étant d’interviewer les témoins avant que « nous tous ne disparaissions », comme elle le dit en préambule de son film.

Christine Angot, pour élucider son traumatisme fondateur, décide un jour de se confronter aux témoins de son histoire : l’épouse de son père incestueux, son ex-mari, sa mère, sa fille…

Du traumatisme originel à une possible guérison, le chemin est souvent long. Mais Une famille, au titre a priori ironique et finalement pas tant que cela, montre qu’un apaisement demeure possible, en dépit de tout, même si la blessure est et restera toujours là,

De cet inceste dramatique, elle avait déjà tiré plusieurs versions qui observaient la même histoire sous des perspectives et sur des tons différents : la révélation fracassante (L’Inceste), le côté cru et pornographique (Une Semaine de vacances), le romantisme vu du côté de la mère amoureuse (Un Amour impossible, adapté au cinéma par Catherine Corsini, avec Virginie Efira et Niels Schneider), le constat neutre à la manière d’Un pédigree modianesque (Le Voyage vers l’Est, Prix Médicis et Prix des Inrockuptibles 2021). Cette fois-ci, c’est à la manière d’un documentaire qu’elle s’empare à nouveau de sa propre histoire et la confronte à ses principaux témoins. Faute de pouvoir aller voir son père désormais décédé, c’est son épouse qu’elle va voir, interrogeant son silence et son absence de réaction face à ses révélations accablantes. C’est par ce coup de force dans tous les sens du terme que commence le film, Christine Angot s’introduisant quasiment de force dans le domicile de celle qu’on n’ose appeler sa belle-mère à Strasbourg. S’ensuit alors un dialogue de sourds, Angot faisant valoir sa vérité face à celle qui considère qu’elle n’a jamais pu entendre la version de son mari, et pour cause, en raison de son décès.

Le film s’organise ainsi de la faille béante qui n’a jamais cicatrisé chez Angot, comme le montre un plan tourné de dos, où elle pleure bien des années après le viol perpétré par son père. Or, si le film ne tourne pas au règlement de comptes pur et simple, c’est en raison de sa construction, les rendez-vous se font de plus en plus apaisés, comme si progressivement Angot se rendait compte qu’elle n’était plus seule, que son histoire dépasse désormais son cas personnel, comme l’énonce son avocat et qu’elle concerne tout le monde, de manière générale. Son ex-mari lui confie en larmes que lorsqu’il a appris qu’elle avait obtenu le Prix Médicis, il a obtenu confirmation qu’il avait raison sur son talent d’écrivaine, en lequel il était le seul à croire dans les années 90. Sa mère lui lit des extraits du journal qu’elle tenait et qu’elle s’est arrêté d’écrire à partir du moment où elle a pu partager son histoire douloureuse d’amour déçu avec elle. Sa fille Léonore lui dit enfin les mots qu’elle rêvait d’entendre, et que personne ne lui a prononcés : « je suis désolée que cela te soit arrivé, maman ».

Du traumatisme originel à une possible guérison, le chemin est souvent long. Mais Une famille, au titre a priori ironique et finalement pas tant que cela, montre qu’un apaisement demeure possible, en dépit de tout, même si la blessure est et restera toujours là,

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RÉALISATRICE : Christine Angot 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : documentaire 
AVEC : Christine Angot, Rachel Schwartz, Leonore Chastagner, Claude Chastagner
DURÉE : 1h21 
DISTRIBUTEUR : Nour Films 
SORTIE LE 20 mars 2024