Présenté à la Quinzaine des Cinéastes au dernier Festival de Cannes (où il a d’ailleurs obtenu le Prix SACD), le nouveau long métrage de Pierre Creton est un récit initiatique, une fantaisie hédoniste qui revêt les atours du conte. Une œuvre certes singulière (et qui pourrait donc décontenancer de nombreux spectateurs) mais remarquable et bien plus profonde qu’il n’y paraît.
Dans Un Prince, on suit Pierre-Joseph qui intègre un Centre de Formation et d’Apprentissage pour devenir jardinier. C’est là qu’il rencontre une suite de personnages : Françoise Brown la directrice, Alberto son professeur de botanique, Adrien son employeur, qui vont être déterminants dans son roman d’apprentissage, et l’ouvrir à sa sexualité. Quarante ans plus tard survient Kutta, l’enfant adoptif de Françoise Brown dont il a toujours entendu parler et qu’il n’a encore jamais rencontré. Mais Kutta qui est devenu le propriétaire d’un étrange château semble chercher autre chose qu’un simple jardinier.
Rarement un film n’aura autant ressemblé, dans la forme et dans le fond, à son auteur.
Rarement un film n’aura autant ressemblé, dans la forme et dans le fond, à son auteur. Ouvrier agricole (notamment apiculteur), jardinier, paysagiste et cinéaste, Pierre Creton a réalisé une quinzaine de courts métrages depuis le début des années 90 et sept longs métrages depuis le milieu des années 2000. Tous ont pour cadre le pays de Caux, en Normandie, et se nourrissent de son expérience personnelle. Un Prince ne déroge pas à cette règle. Il ne saurait d’ailleurs y avoir de plus grand écart entre ce milieu pastoral et les strass et paillettes de la Croisette, où fut donc projeté le film en mai dernier. Au-delà de ces aspects qui sonnent comme une évidence, un indice supplémentaire semble confirmer le côté autobiographique du projet : Pierre Creton interprète lui-même le rôle de Pierre-Joseph adulte alors qu’Antoine Pirotte endosse le rôle du même personnage, mais plus jeune (le passage de l’un à l’autre est à ce sujet proprement étonnant et même extrêmement troublant).
Bénéficiant d’une image superbe, le long métrage met en scène un jeune homme qui apprend à aimer la botanique et ressent irrésistiblement une attirance pour des hommes plus âgés.
Bénéficiant d’une image superbe, le long métrage met en scène un jeune homme qui apprend à aimer la botanique et ressent irrésistiblement une attirance pour des hommes plus âgés. Et le réalisateur réussit le tour de force de filmer ces amours, le désir et des corps d’hommes mûrs de manière assez frontale et avec pas mal d’audace, sans pourtant que cela soit obscène ou de la pornographie. Construit sans dialogues, avec comme seuls repères d’étranges voix off intérieures (Mathieu Amalric, Françoise Lebrun et Grégory Gadebois n’incarnent pas en chair et en os les protagonistes dont ils sont pourtant les voix), Un Prince ressemble à un poème champêtre, alliage parfait entre la nature et le désir, entre ruralité et sexualité (ce qui a choqué à Cannes) qui raconte l’éveil à la sexualité gay de Pierre-Joseph en multipliant les points de vue. Le tout hanté par un personnage, Kutta, dont on parle à plusieurs reprises mais que nous ne verrons que dans la dernière partie du récit, déjà adulte.
C’est pour toutes ces raisons, et parce qu’il filme aussi le bocage comme un jardin enchanté et enivrant, traversé par un désir ardent qu’il faut absolument voir Un Prince
Ce voyage dans un univers fantasmagorique, qui n’a aucune vocation à être réaliste et vraisemblable (mais n’est-ce pas le principe même du conte que de proposer une alternative au réel ?), est une expérience quasi littéraire assez rare au sein du paysage cinématographique français. C’est pour toutes ces raisons, et parce qu’il filme aussi le bocage comme un jardin enchanté et enivrant, traversé par un désir ardent qu’il faut absolument voir Un Prince, une œuvre d’une grande douceur mais laissant entrevoir un certain côté obscur. Exigeant mais original à coup sûr !
RÉALISATEUR : Pierre Creton NATIONALITÉ : France GENRE : Conte, récit initiatique AVEC : Antoine Pirotte, Pierre Creton, Vincent Barré DURÉE : 1h22 DISTRIBUTEUR : JHR Films SORTIE LE 18 octobre 2023