Un poète : la lumière d’une pépite brute

Revoilà donc le réalisateur Simón Mesa Soto, sur la Croisette, un mois de mai. En 2014, le Colombien remportait la Palme d’Or du court métrage avec Leidi ; en 2021 son premier long, Amparo, était présenté à la Semaine de la Critique. Pour ce 78ᵉ festival, c’est son deuxième, Un poète qui se glisse dans la sélection Un certain regard. Pour l’occasion, Mesa Soto continue d’explorer, avec sa caméra documentaire qui tremble et semble faire le point constamment, les milieux populaires et la place des femmes en Colombie. Une pépite brute, qui questionne surtout avec humour et tendresse les rêves de succès dans notre monde moderne. 

Oscar Restrepo est un poète. Ou du moins il en a l’obsession, plusieurs dizaines d’années après avoir gagné un concours national de poésie. Mais la gloire n’est jamais arrivée, et il vivote, entre deux soirées trop arrosées, chez sa mère vieillissante, enfermé dans le mythe du poète maudit. Sa rencontre avec Yurlady, une adolescente aux origines modestes et au talent brut, va le réveiller, persuadé qu’il doit aider la jeune fille à devenir une grande poétesse. Mais l’entraîner dans le monde des poètes n’est peut-être pas la meilleure voie à suivre.

Il fallait un acteur sans ego pour incarner ce loser des temps modernes, et Ubeimar Rios crève l’écran.

Ses amis l’appellent “le poète”. Mais dès la première scène tout est dit : voilà un quarantenaire qui vit chez sa mère, s’enferme dans sa chambre et refuse de prendre un poste d’enseignant, roulé en boule sur son lit. Un anti-héros énervant, qui pleure au volant de la voiture maternelle et ne peut prendre un verre d’alcool sans tomber dans une démesure embarrassante, se réveillant sur le trottoir après ses blackout. Il fallait un acteur sans ego pour incarner ce loser des temps modernes, et Ubeimar Rios crève l’écran. Le visage bouffi, geignant sans cesse, il nous fait rire des déboires de son poète, avec gêne et tendresse mêlées. 

Un poète questionne sans ménagement la poésie, cet art qui semble désuet dans notre société moderne du buzz et de l’instantanéité. La poésie, devenue le marqueur social d’une bourgeoisie vieillissante. Lorsque Oscar présente sa jeune protégée (interprétée par Rebeca Andrade, parfaite) à ses collègues de l’association de poésie, ceux-ci reconnaissent son talent, mais lui demandent d’écrire “de la poésie sociale”, car c’est ce qu’on attend d’elle, ce qu’on attend d’une fille des quartiers pauvres. Et ils sont sûrs que c’est cela qui va plaire ! Le personnage de la mécène étrangère, une grande femme blonde aux sourires enjôleurs, incarne cette condescendance avec perfection.

En essayant d’aider Yurlady, contre son véritable gré (elle préfère se faire les ongles avec sa copine que de se rendre dans la maison associative où de jeunes lettrés se roulent par terre pour exprimer leurs émotions), c’est lui-même qu’Oscar tente de sauver. Il aimerait qu’elle devienne ce génie reconnu qu’il n’est jamais devenu. Et elle représente aussi son échec avec sa propre fille, dont il n’a plus la garde et qui a honte de lui. Mais la morale de l’histoire est presque banale : on ne se sauve pas en cherchant à sauver quelqu’un d’autre. On se sauve d’abord soi-même, et Oscar devra trouver le chemin autrement, après son échec cuisant avec Yurlady lors du gala qui devait la consacrer. Un gala où, pêle-mêle, Oscar montre son “trou noir” aux jeunes poètes de l’association, et perd la surveillance de Yurlady, qui finira saoule et inconsciente après une cuite au champagne.

Un poète se rapproche évidemment du drame social, mais il n’en est pas vraiment un, et c’est la surprise et lumière du scénario. Yurlady vit avec son oncle, sa tante et ses deux sœurs à peine sorties de l’adolescence et déjà mamans, dans une grande pièce commune où s’entremêlent les couettes devant un poste de télévision allumé. Mais le regard de Simón Mesa Soto ne tombe jamais dans le misérabilisme : la jeune poétesse aime sa vie, ne veut pas s’extraire de ses origines, rêve juste d’être coiffeuse, ou esthéticienne, et maman un jour. Et son bonheur simple est l’autre grande morale d’Un poète : Oscar et ses grands rêves de succès, ainsi que son narcissisme mal placé d’intellectuel, l’auront poussé à son malheur et à sa perte. Une leçon de vie.

4.5

RÉALISATEUR : Simón Mesa Soto
NATIONALITÉ :  Colombien
GENRE : Comédie dramatique
AVEC : Ubeimar Rios, Rebeca Andrade, Guillermo Cardona
DURÉE : 2h
DISTRIBUTEUR : Epicentre Films
SORTIE LE Date non communiquée