Les animaux brillèrent par leur absence au cinéma en 2024. Furent montrées, des bêtes devenues des charognes, des créatures numériques représentées en pixels (Le Robot Sauvage, Mufasa, Flow…). Depuis, la brèche fut colmatée. On peut même dire que, pour ne se concentrer que sur la figure imminente du western – le cheval – ce dernier revient au galop cette année. En atteste les sorties rapprochées de ces films qui traitent, frontalement ou périphériquement, la question chevaline : Cassandre, Lads, Les Cavaliers des terres sauvages et celui sur lequel nous focaliserons notre attention, Un Pas de Côté réalisé par Grégory Morin.
Ici, l’image s’accouple au commentaire et, au-delà de ses percées pédagogiques, le documentaire peint le portrait d’un dresseur qui, comme d’autres travailleurs, forge son salut dans les gestes plus que dans les mots, dans sa proximité avec les animaux plutôt que celle avec les êtres humains.
“Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.” Citez du Paul Éluard à un cheval, peu importe sa race ou la couleur de sa robe, ne soyez pas surpris qu’il n’en fasse pas tout un foin. Pour s’adresser à un cheval, il n’y a point besoin de mots, seulement d’une étreinte charnelle qui alimente des rêves. Et ce rêve qui prend forme à l’écran, ce rêve qu’Un Pas de Côté articule, c’est celui d’un grand enfant vêtu des bottes jusqu’au chapeau comme un cow-boy. Là, dans l’ouest de la France, le dresseur Christophe Arnaud se voit confier une espèce rare : un mustang sauvage issu des Grandes Plaines de l’Ouest américain. En cent jours, le dresseur français doit parvenir à faire parader Marley, ce cheval couleur charbon originaire d’une race réputée indomptable, dans le but de le vendre aux enchères lors d’un concours célèbre basé en Allemagne : le Mustang MakeOver.

Sur le sol américain, avant la présentation des chevaux à leurs dresseurs, une des organisatrices prévient les professionnels expérimentés qui l’entourent : “Mon Mustang m’a rapidement fait comprendre que je ne savais rien…” Suivent des images fortes, une rencontre sous la pluie, le pas lourd et ralenti qui tonne la puissance des Mustang. Comme l’adoption d’un nouveau membre de la famille rapatrié en France, il a fallu tout (ré)apprendre : la présence de l’autre, le partage d’un espace commun, la découverte d’une singularité, d’un caractère. Patiente, la caméra de Grégory Morin déplie le temps long – qu’un renard qualifiait jadis dans une autre œuvre – de l’apprivoisement. S’agrègent les séquences étirées d’appréhension, les gestes minutieux et répétitifs du dressage que ce dernier s’exécute à la corde, à la sangle ou à la selle. L’homme et le cheval se tournent autour. Un Pas de Côté documente le travail dévot de ce cavalier, ses innombrables connaissances et la manière qu’a Christophe, presque similaire à celle d’un comportementaliste, à détricoter le moindre de ses gestes et ceux de son cheval. Parfois, on croirait le cinéma revenu à ses origines, avant même la création du cinématographe des frères Lumière, en 1878 lorsque le photographe Eadweard Muybridge détaillait pour la première fois les différents mouvements de course du cheval dans une série de photographies repassées les unes à la suite des autres, formant une séquence animée. Ici, l’image s’accouple au commentaire et, au-delà de ses percées pédagogiques, le documentaire peint le portrait d’un dresseur qui, comme d’autres travailleurs, forge son salut dans les gestes plus que dans les mots, dans sa proximité avec les animaux plutôt que celle avec les êtres humains.
Le plus touchant là-dedans, c’est qu’Un Pas de Côté parvient à rendre palpable un des secrets les plus intimes qui soit : celui que partagent un cavalier et son cheval. Dans l’ambiguïté d’une telle relation que travaille toujours intelligemment le film, se plaçant à la juste distance, donnant à voir ce fameux “pas de côté”, le film ne peut cacher ni édulcorer la violence de cette ambition de dresser dans un but de performer. Pour autant, il ne disqualifie jamais la démonstration d’un amour sans bruit. “Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.” Dites ça à un cheval, il vous prendra pour un fou. Dites ça à Christophe Arnaud, il pourrait dire : “c’était Marley et moi, en trois mots, c’était nous.” Le mors dans l’âme, un homme s’est découvert, une rencontre a eu lieu. Un Pas de Côté a déplié l’image dans les strates du temps pour donner à voir un sortilège : l’union charnelle entre deux êtres d’une espèce différente.
RÉALISATEUR : Grégory Morin NATIONALITÉ : française GENRE : documentaire AVEC : Christophe Arnaud DURÉE : 1h45 DISTRIBUTEUR : Les Films de la Main Heureuse SORTIE LE 23 avril 2025