Un espion ordinaire : jeux d’espions

En dépit de la fin de la Guerre Froide et de la chute du mur de Berlin, les films d’espionnage continuent à exister, même s’ils mettent surtout en scène des conflits datant des années cinquante-soixante. Un espion ordinaire ne déroge pas à la règle, en mettant en lumière une fait historique quelque peu oublié, datant de l’affaire des missiles de Cuba entre 1960 et 1962. Dominic Cooke, metteur en scène britannique de théâtre assez réputé, en tire le prétexte d’une reconstitution historique classique et appliquée, dépourvue d’inspiration et de vision, mais trouvant son principal intérêt dans son jeu d’acteurs.

Au début des années soixante, pour approcher sans risques le colonel soviétique Oleg Penkovsky, la CIA et le MI-6 ont l’idée lumineuse de recruter un modeste représentant de commerce britannique, Greville Wynne pour passer des informations et essayer d’empêcher un conflit nucléaire, en désamorçant la crise des missiles de Cuba. Se nouant d’amitié avec Penkovsky, Greville Wynne va accomplir sa mission au péril de sa vie et de sa liberté.

Un espion ordinaire demeure un divertissement correct, sans plus, dans le rayon fourni des films d’espionnage, qui ne décevra pas les fans de Benedict Cumberbatch.

Hormis Red Sparrow de Francis Lawrence, qui avait essayé, sans trop de réussite, de transposer le film d’espionnage à une époque plus récente, les films d’espionnage contemporains se cantonnent à une période plus reculée, datée d’un point de vue historique, l’ère de la Guerre Froide (1947-1991). C’était le cas du Pont des Espions de Steven Spielberg ou de La Taupe de Tomas Alfredson, où apparaissait déjà Benedict Cumberbatch, pour citer les classiques récents du film d’espionnage. Ceci s’explique par le haut niveau d’affrontement politique et diplomatique entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique qui avait lieu en ces années-là. Or réaliser un film d’espionnage ne se résume pas à une reconstitution historique où l’on désignerait de manière manichéenne les bons et les méchants. Ce pourrait être une possibilité de déployer une vision sur l’état du monde, comme l’a fait John Huston dans La Lettre du Kremlin, où le pessimisme et le cynisme régnaient en maîtres.

Ce n’est pas le cas ici. La principale préoccupation de Dominic Cooke consiste à raconter du mieux possible l’histoire qui lui a été confiée, en la restituant avec fidélité et peut-être un peu trop d’application. Du travail de bon élève un peu besogneux, là où on aurait pu attendre plus de distance et de virtuosité. Il commet malheureusement quelques petites erreurs de casting qui empêchent d’emblée le film de rejoindre la catégorie des classiques précités. Tout d’abord, le noeud de l’intrigue, c’est-à-dire l’amitié entre Penkovsky et Greville Wynne, n’est absolument pas justifié par l’absence totale d’alchimie entre Benedict Cumberbatch et Merab Ninidze, ce qui fait que le spectateur ne peut guère comprendre que Wynne puisse aller jusqu’à sacrifier sa liberté, voire sa vie, pour un quidam qu’il ne connaît quasiment pas. Ce qui aurait pu constituer un sous-texte homosexuel intéressant (Dominic Cooke étant en couple avec un homme) ne prend pas de consistance à l’écran, ce qui empêche une bonne partie du film de résonner comme Cooke l’avait peut-être prévu. A la place, Un Espion ordinaire déroule une histoire d’homme ordinaire perdu dans des circonstances extraordinaires qui le dépassent.

Or c’est là aussi que le bât blesse: si l’on se réjouit de voir Rachel Brosnahan (la merveilleuse Mme Maisel) trouver enfin un beau rôle à l’écran et Jessie Buckley (Wild rose, Chernobyl) défendre avec talent le rôle ingrat d’une femme délaissée, le principal problème du film est représenté par ce qui constitue également son principal atout, Benedict Cumberbatch. Certes ni son immense talent ni sa formidable implication dans le projet (il en est aussi un des producteurs) ne se trouvent en cause. Néanmoins son physique atypique est tel que l’on peut se demander si, en jouant à fond la carte du contre-emploi, en épaississant son apparence, il ne joue pas en fait contre son personnage qui aurait pu être bien mieux interprété par un comédien au physique bien plus banal, conformément au titre français du film. Ces réserves mises à part, Un espion ordinaire demeure un divertissement correct, sans plus, dans le rayon fourni des films d’espionnage, qui ne décevra pas les fans de Benedict Cumberbatch.

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RÉALISATEUR : Dominic Cooke
NATIONALITÉ : britannique, américaine
AVEC : Benedict Cumberbatch, Merab Ninidze, Rachel Brosnahan, Jessie Buckley 
GENRE : Espionnage, historique
DURÉE : 1h51 
DISTRIBUTEUR : SND 
SORTIE LE 16 juin 2021