Un amour impossible : une histoire d’amour et de mépris

Ne faisant pas partie des admirateurs ou des détracteurs de Christine Angot, spécialiste de l’autofiction (même si elle renie en fait ce terme),on attendait néanmoins avec une certaine curiosité cette adaptation d’Un Amour impossible, Prix Décembre 2015. Car, même pour ceux qui n’apprécient pas forcément ses livres, Un Amour impossible est sans doute son livre le plus accessible et bouleversant. Pour Christine Angot, il s’agit de son Pedigree simenonien ou modianesque, c’est-à-dire, la description neutre et clinique de ce qui a pu la constituer comme personne, et en particulier la rencontre entre ses deux parents, deux êtres que tout sépare, – le milieu social, la culture, le tempérament, – et qui n’auraient peut-être dû jamais se rencontrer. De cette histoire a priori romantique, il fallait absolument essayer de préserver la part sèche et cruelle qui ressort essentiellement du livre de Christine Angot. Catherine Corsini y est-elle réellement parvenue?

Bilan donc mitigé pour un film qui évite le mélo mais ne parvient pas à se hisser à la hauteur de son sujet. On se surprend alors à penser que la véritable bonne idée, c’eût été de confier la mise en scène et le commentaire en voix off à Christine Angot elle-même, qui aurait sans doute su en faire un témoignage vibrant et personnel.

A la fin des années 50, à Châteauroux, Rachel Schwartz, modeste employée de bureau, tombe amoureuse de Philippe Arnold, traducteur brillant. Le coup de foudre, surtout physique, est réciproque mais la conscience de classe de Philippe les sépare. Il ne l’épousera pas, bien que Rachel tombe enceinte. Rachel est juive et n’appartient pas au milieu bourgeois des Arnold, tares absolument rédhibitoires pour Philippe. Mère célibataire, elle élèvera seule avec beaucoup de courage sa fille Chantal, affrontant le regard et la possible désapprobation de ceux qui l’entourent. Pourtant, un jour, elle renoue avec Philippe et voudra obtenir l’impossible, c’est-à-dire qu’il reconnaisse enfin sa fille devant l’état-civil. Mal lui en a pris ; Philippe lui fera payer cher cette défaite en niant socialement Rachel, avec l’arme la plus redoutable qu’il possède.

De cette histoire de mépris social et de conscience de classe, il eût été possible d’en tirer un très grand film. Il aurait fallu pour cela dépasser le simple constat d’injustice sociale et de revanche sexuelle qui en a découlé. Catherine Corsini livre ici une adaptation très sage et appliquée du livre de Christine Angot, très fidèle, voire beaucoup trop. Tout y est, les passages en voix off restituant le texte du roman, l’opposition de classes sociales, le constat clinique. Pourtant, alors que le livre s’avérait de plus en plus bouleversant au fur et à mesure de sa lecture, les mêmes éléments mis en scène produisent un intérêt moyen, à la limite de l’indifférence. Car Catherine Corsini, comme souvent dans ses films précédents, manque d’imagination visuelle et se cantonne à une restitution plate, presque télévisuelle du conflit existant dans l’œuvre. Elle ne parvient pas à inscrire suffisamment ses corps dans l’espace et à faire comprendre leur séparation indéfectible, uniquement par le pouvoir de sa mise en scène.

En résumé, la première partie, l’histoire d’amour entre le père et la mère est traitée de manière physique et érotique, alors qu’en raison de l’intelligence intrinsèque et la pétulance naturelle de Virginie Efira, on ne ressent pas trop le fossé culturel existant entre les deux. On saluera à juste titre l’excellence des effets spéciaux qui l’ont rajeunie de vingt ans pour l’occasion, en gommant ses quelques cernes et rides. La deuxième partie, l’amour que voue Chantal à son père si longtemps absent, se passe en fait judicieusement hors champ et permet de révéler une actrice étonnante, Estelle Lescure, dans le rôle de l’adolescente. Enfin la troisième partie, peut-être la plus crédible, se focalisant sur la mère et la fille, finit par réellement fonctionner, grâce au passage du temps et au maquillage très réussi de Virginie Efira. La longue scène d’explications, fidèlement restituée du livre, prend toute son ampleur, entre le personnage tendu et sec comme une lame de couteau de Chantal adulte (Jehnny Beth, la chanteuse du groupe Savages et l’ex-égérie de Jean-Paul Civeyrac) et le corps devenu lourd et lent de Rachel. 

Comme dans le livre, on finit par se demander de quel amour impossible, il s’agit: de la romance vouée à l’échec entre deux personnes de classes sociales trop différentes? De la fascination qu’une fille éprouve pour son père qui représente un idéal de culture et de raffinement qu’elle n’a jamais connu? Ou bien d’un lien indéfectible entre une mère et sa fille, en dépit du fossé culturel qui s’est creusé entre elles?  

Par conséquent, le film finit par toucher et émouvoir, un peu en bout de course, surtout grâce à la direction d’acteurs, bien plus que par la mise en scène. Bilan donc mitigé pour un film qui évite le mélo mais ne parvient pas à se hisser à la hauteur de son sujet. On se surprend alors à penser que la véritable bonne idée, c’eût été de confier la mise en scène et le commentaire en voix off à Christine Angot elle-même, qui aurait sans doute su en faire un témoignage vibrant et personnel.

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RÉALISATEUR :  Catherine Corsini 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Virginie Efira, Niels Schneider, Iliana Zabeth, Jehnny Beth, Estelle Lescure
GENRE : Drame 
DURÉE : 2h15 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE 7 novembre 2018