Ce long métrage latino-américain, découpé en deux parties qui sortent le même jour en salle, est une véritable révélation. Issu du collectif argentin El Pampero Cine, à qui l’on doit déjà les réjouissants Histoires extraordinaires et La Flor (d’une durée de plus de 14 heures), Trenque Lauquen, réalisé par Laura Citarella, est un enchantement, une merveille, une œuvre folle qui multiplie les pistes pour mieux égarer délicieusement (et intelligemment) le spectateur. C’est assurément déjà l’un des grands films de cette année 2023.
Trenque Lauquen, réalisé par Laura Citarella, est un enchantement, une merveille, une œuvre folle qui multiplie les pistes pour mieux égarer délicieusement (et intelligemment) le spectateur.
Le mystère plane dès la première séquence, pourtant en apparence anodine et très simple : une femme a disparu, sans que le contexte soit clairement dévoilé. Deux hommes partent à sa recherche aux alentours de la ville de Trenque Lauquen. Ils l’aiment tous les deux et chacun a ses propres soupçons quant aux raisons de cette disparition. Les circonstances vont cependant se révéler plus étranges que prévues. Conçu en deux parties et douze chapitres, Trenque Lauquen croise les récits de ses différents personnages et cartographie une ville. De la découverte d’une ancienne correspondance amoureuse dans une bibliothèque à de mystérieuses apparitions près d’un lac, la pampa n’a pas encore révélé tous ses secrets…
Le film, dans sa globalité (sur près de 4h20), impressionne par la construction de son récit, maîtrisé et d’une richesse incroyable.
Le film, dans sa globalité (sur près de 4h20), impressionne par la construction de son récit, maîtrisé et d’une richesse incroyable. Si l’on suit l’enquête de ces deux hommes, on est également amené à suivre la vie de Laura quelques temps avant sa disparition par l’intermédiaire de flashbacks, scrutant ainsi le moindre détail qui pourrait en expliquer les raisons. Les récits se mêlent avec une virtuosité sidérante, entre passé et présent, rendant le film constamment passionnant. S’il nous permet de connaître les deux hommes qui la recherchent, Ezequiel dit « Chicho » et Rafael, il nous permet également d’en savoir plus sur Laura (jouée magnifiquement par Laura Paredes, coscénariste du film) : elle apparaît très active, chercheuse en botanique pour le Département des transports du gouvernement, chroniqueuse radio pour une station locale et enseignante à l’université. Elle se mue aussi très vite en enquêtrice façon Sherlock Holmes, aidée par Chicho, lorsqu’elle finit par découvrir, cachées dans des livres de la bibliothèque municipale de Trenque Lauquen, des lettres d’amour enflammées entre un bourgeois italien et une institutrice.
Ce qui frappe ici, c’est l’aisance avec laquelle la cinéaste parvient à entremêler les histoires qu’elle nous conte, multipliant les points de vue (au niveau des histoires vécues mais aussi au travers du regard que portent les personnages principaux sur les gens qui les entourent), comme les voix-off d’ailleurs
Ce qui frappe ici, c’est l’aisance avec laquelle la cinéaste parvient à entremêler les histoires qu’elle nous conte, multipliant les points de vue (au niveau des histoires vécues mais aussi au travers du regard que portent les personnages principaux sur les gens qui les entourent), comme les voix-off d’ailleurs : ainsi à l’enquête menée par Chicho et Rafael pour retrouver celle qu’ils aiment, se superposent celle menée par Laura et Chicho sur les traces de Carmen Suza (histoire qui est elle-même l’objet d’une sorte de reconstitution dans le film), puis d’autres encore concernant la découverte d’une plante rare au pouvoir hallucinogène ou de la potentielle présence d’un monstre au centre d’un lac (des faits divers que l’on retrouve dans la deuxième partie).
Trenque Lauquen est rempli de mystères et d’ellipses : beaucoup de choses que l’ensemble des personnages recherchent ne sont jamais montrées ou restent inexpliquées (une place importante est en effet laissée au hors-champ). C’est bien entendu l’une des grandes qualités du film. Pour autant, dans la deuxième partie, certains détails tendent à prouver que tout n’est pas que mensonge ou légende, sans pour autant que les éléments du puzzle soient expliqués. La scène de la serre dans laquelle pénètre Laura à la fin de la deuxième partie en est une parfaite illustration : elle permet de montrer que cette histoire de « créature » est réaliste, tout du moins plausible. Il faut d’ailleurs ici souligner le changement permanent de registres, de genres, du film d’enquête au thriller fantastique, du mélodrame au surréalisme mais toujours avec un sens du romanesque et du lyrisme étonnant (Laura et Chicho tombent amoureux alors qu’ils semblent se passionner pour les échanges épistolaires érotiques entre un homme et une femme dans un passé pas si lointain), ce qui permet d’établir une véritable complicité avec le spectateur. Le long métrage est ainsi tout le temps en mouvement, ne se contentant pas de dérouler son récit de manière classique : si dans la première partie, l’enquête menée par les deux hommes leur permet d’élaborer des théories crédibles pour expliquer la disparition de Laura, la deuxième s’amuse à les discréditer une à une, jusqu’à un plan final splendide qui pourrait, presque à lui seul, résumer cette œuvre géniale.
Trenque Lauquen fascine dans le même temps par la multiplicité des lieux qu’il met en scène. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la localité donne le titre au long métrage ; cet aspect géographique est passionnant notamment dans les interactions entre les personnages et les espaces traversés (bibliothèque, fermes, bars, studios radio, pampa…), tous magnifiquement filmés (certains plans sont littéralement renversants). Un paysage qui semble d’ailleurs déteindre sur le caractère et les états d’âme des protagonistes (tout comme les événements qui se déroulent autour d’eux). Cette localité est, il est vrai, à la fois étrange et surréaliste, mais possède aussi des aspects concrets et tangibles.
De manière indiscutable, un très grand film que l’on a envie de revoir immédiatement après être sorti de la salle de cinéma
En définitive, Trequen Lauquen, quatrième long métrage de Laura Citarella, tourné sur six années, est le produit d’une démarche originale et fondamentale, qui a profondément modifié la façon de construire un film (démarche déja engagée par Jacques Rivette, avec Out 1), donnant naissance, pour reprendre les propos de la cinéaste elle-même, à un « film mutant ». De manière indiscutable, un très grand film que l’on a envie de revoir immédiatement après être sorti de la salle de cinéma.
RÉALISATEUR : Laura Citarella NATIONALITÉ : Argentine, Allemagne GENRE : Drame AVEC : Laura Paredes, Ezequiel Pierri, Rafael Spregelburd DURÉE : 4h22 DISTRIBUTEUR : Capricci Films SORTIE LE 3 mai 2023