Présenté au Festival Chéries-Chéris 2023, Toutes les couleurs du monde révèle Babatunde Apalowo, un cinéaste ambitieux qui signe ici un premier film d’une grande humanité et qui saisit subtilement les émois homosexuels de deux jeunes hommes au cœur du Nigeria. Dans un contexte largement défavorable à l’homosexualité, il dresse le portrait aussi attachant que touchant d’un couple naissant qui cache son amour aux yeux malveillants de la population nigériane. Le film va droit au cœur, alors que les interdits sont humainement et pénalement punissables.
Bambino s’est installé dans sa vie de célibataire. Il a un revenu stable grâce à son emploi de chauffeur-livreur à Lagos, et il est apprécié par son voisinage qu’il aide dès qu’il le peut. Alors que les avances de sa voisine le laissent froid, Bambino rencontre le charismatique Bawa, un photographe, qui provoque quelque chose en lui.
En arrière-plan, Babatunde Apalowo filme une société méprisante, peu encline à accepter cette orientation sexuelle, alors qu’au premier, il montre le visage d’hommes qui souhaitent laisser libre cours à leur sexualité, mais se cachent.
Toutes les couleurs du monde représente un autre Nigeria, la face invisible d’un pays peu inclusif et intolérant. Dans cette obscurité se dessinent les parcours de Bambino et Bawa qui, suite à une rencontre fortuite, vont ressentir une attirance réciproque, dans une ville où il est mal vu de porter un jean Clim, et où l’on veut jeter de l’essence sur les personnes gays. Deux scènes filmées en arrière-plan en disent long sur ce climat houleux qui règne. Le réalisateur choisit de ne pas mettre l’accent sur ces déferlements haineux, mais se concentre sur cette idylle qu’il décrit de manière absolument romantique, bien loin du contexte inhumain. Des regards qui se croisent, des émotions qui traduisent le désir, une mise en scène qui mélange les plans larges et rapprochés, pour ainsi démontrer la fragilité d’un amour singulier et pourtant solide. Les personnages affichent une certaine distance, motivée par la peur de l’interdit ou de la honte. Babatunde Apalowo fait de cela la véritable force de son film, qui se veut résolument sentimental, atteignant alors des sommets de romantisme lorsqu’une douce musique agrémente les passages où les corps se rapprochent.
Toutes les couleurs du monde est un hommage vibrant aux films d’amour, un genre maintenant rare au cinéma, et dévoile la sensibilité d’un cinéaste.
Ce long-métrage transpire de sensualité et de subtilité, des éléments qui laissent deviner la personnalité d’un réalisateur qui s’investit beaucoup pour livrer un récit assez personnel et en dehors des sentiers battus. Il ne montre pas les ébats amoureux, mais surtout les désirs ardents que les protagonistes expriment par des expressions ou des attitudes corporelles. La proximité de ces deux hommes fait plaisir à voir, alors que l’éprouvante réalité sociale les contraint à effectuer un chassé-croisé amoureux, entre la volonté de révéler cette liaison ou de la vivre en restant à l’abri des regards. Bawa photographie Bambino en guise de séduction, presque à la manière de Robert et Francesca dans Sur la route de Madison de Clint Eastwood, un film qui, comme Toutes les couleurs du monde, magnifie les sensations amoureuses. En tout cas, l’appareil photo immortalise l’anatomie et se mue en objet romantique. Le procédé stylistique se révèle parfois un peu lent ; toutefois le silence de certains moments signifie tant de choses et vaut mille mots. Babatunde Apalowo a compris qu’il ne fallait pas mettre d’artifices ou forcer sur les émotions. Il reste constamment dans un ton subtil qui sert favorablement son film.
RÉALISATEUR : Babatunde Apalowm NATIONALITÉ : Nigéria GENRE : drame AVEC : Tope Tedela, Riyo David DURÉE : 1h32 DISTRIBUTEUR : Optimale Distribution SORTIE LE 8 mai 2024