Il arrive qu’elle nous gratte la tête, cette voix intérieure. Tantôt motrice, tantôt destructrice, quoi qu’il arrive, elle nous accompagne, mais sa compagnie n’est pas facile tous les jours. Dans un monde à la fois hyper connecté, individualiste et légèrement incertain, la petite voix peut vite devenir bruyante. Pour Jeanne, le mal est déjà fait : un petit fantôme lui triture les méninges. A la déprime du quotidien s’ajoute un problème plus prosaïque, un lourd endettement. Dans la tourmente, l’espoir peut apparaître sous des formes imprévisibles : un camarade de classe oublié, par exemple. Entre drame intime et comédie solaire, Tout le monde aime Jeanne, le premier long métrage de la cinéaste Céline Devaux, interroge avec fantaisie des thématiques contemporaines.
Avant, tout le monde aimait Jeanne, mais ça, c’était avant que son coûteux dispositif pour nettoyer les océans ne termine sa première course au fin fond de la mer. Aujourd’hui, elle-même ne se supporte plus. Dépressive et surendettée, Jeanne doit vendre l’appartement de sa défunte mère pour se renflouer. Lors de son trajet vers Lisbonne où se trouve le logement, elle croise le chemin d’un ancien camarade de classe, Jean, un homme aussi fantasque que bavard. Hanté par le souvenir de sa mère, le lieu respire le passé : elle s’y complaît avec mélancolie, délaissant les cartons et retardant toujours plus la vente. Jean, plus collant que prévu, va l’aider à reprendre pied.
Sans briller par son originalité, Tout le monde aime Jeanne séduit par son portrait singulier, son cadre idyllique et son univers acidulé, gentiment naïf.
La première réalisation de Céline Devaux est une véritable histoire de rencontre : celle d’abord de deux personnages que rien, en apparence, ne semble relier, mais aussi de plusieurs registres et genres, à commencer par l’animation. Remarquée pour ses courts-métrages animés, notamment à Cannes et à la Mostra de Venise, la cinéaste mêle à la fois son goût pour le cinéma et le dessin. Un petit fantôme aux cheveux longs singularise ainsi la médisante voix intérieure de Jeanne, toujours prompte à envenimer la moindre pensée. Une ficelle créative et humoristique qui, un peu à l’image du montage, peine à trouver son point d’équilibre. Une manière de s’immerger dans l’esprit de Jeanne, une idéaliste devenue hermétique au monde, et d’appuyer la grande contradiction entre elle et Jean. Lui, qui revient aussi de loin, ne se cache pas derrière un drap blanc, bien au contraire : il dit tout, tout le temps. Derrière les grandes lunettes de soleil de Jeanne, il voit une raison d’essayer : comme sa machine perdue dans l’océan, elle attend de remonter à la surface.
Un duo tendre et efficace, entouré par de solides seconds rôles. On pense notamment au encore trop rare Maxence Tual, membre de la troupe Les Chiens de Navarre. Une œuvre douce-amère traversée par plusieurs préoccupations de nos temps : la santé mentale, la crainte écologique, la difficulté de rebondir dans un monde obnubilé par le jugement et le regard d’autrui. Difficile de ne pas souligner l’organique et émotive bande originale de l’inspiré Flavien Berger. Sans briller par son originalité, Tout le monde aime Jeanne séduit par son portrait singulier, son cadre idyllique et son univers acidulé, gentiment naïf.
RÉALISATEUR : Céline Devaux NATIONALITÉ : France, Portugal, Belgique AVEC : Blanche Gardin, Laurent Lafitte GENRE : Comédie, animation DURÉE : 1h35 DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution SORTIE LE 7 septembre 2022