Tori et Lokita : le système Dardenne tourne à vide

Depuis 1999, et la projection de Rosetta, il est de tradition de voir chacun des films des frères Dardenne en compétition au Festival de Cannes, et, pour la plupart, être récompensés (2 Palmes d’or, 1 Grand prix, 1 prix de la mise en scène, 1 prix du scénario). Ainsi, ce 12e long métrage ne déroge pas à la première règle. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur du reste de leur filmographie. Avouons-le, c’est une vraie déception.

Si le film possède un propos généreux, on s’en doute, cela ne suffira pas cette fois à en faire une œuvre bouleversante de bout en bout.

Incursion dans le cinéma social, genre de prédilection des cinéastes belges, Tori et Lokita met en scène le parcours en Belgique d’un jeune garçon et d’une adolescente originaires du Bénin, en quête de papiers. Si le film possède un propos généreux, on s’en doute, cela ne suffira pas cette fois à en faire une œuvre bouleversante de bout en bout. C’est d’autant plus dommage que l’on retrouve des thématiques traitées dans leurs opus précédents : individus en plein désarroi et victimes d’une injustice, portrait d’enfants/adolescents de milieu populaire en conflit avec les adultes ou encore la dénonciation d’une société capitaliste qui exploite les plus faibles. Mais en voulant aller vers une épure très prononcée, cette histoire semble étouffée, ne produisant ainsi qu’à de très rares occasions une véritable émotion (la scène de la berceuse chantée pour s’endormir ou la fin, d’une grande sobriété et très belle). En moins de 1h30, les deux adolescents vivent de nombreuses situations, certes bien réelles, mais qui donnent aux spectateurs l’impression d’une compilation avec, pour parachever l’ensemble, une impression d’invraisemblance.

Il manque une intensité dramatique à laquelle les 2 frères nous avaient pourtant habitué.

Les sentiments sont donc contrastés : on salue le rejet du pathos, de la complaisance, une écriture à l’os, tout en regrettant que certains passages ne soient pas davantage développés, que l’histoire vive et s’épanouisse. Il manque une intensité dramatique à laquelle les deux frères nous avaient pourtant habitué.

Les personnages subissent le même sort, tant au niveau de l’écriture que du jeu des interprètes professionnels ou non. Le film choisit de suivre plutôt dans un premier temps Lokita, avant de changer de point de vue et de basculer vers celui de Tori. Une bonne idée normalement qui trouve ici sa limite dans l’interprétation peu convaincante de Joely Mbundu, alors que le jeune Pablo Schils est, lui, assez remarquable. Peut-être d’ailleurs aurait-il fallu axer le long métrage sur l’énergie de ce dernier, qui constitue les moments les plus réussis.

Outre le fait que la plupart des personnages masculins sont clairement peu aimables, voire détestables, d’autres sont carrément sacrifiés à cette histoire épurée : c’est le cas du frère et de la sœur de « l’Église », constamment à la recherche des 2 adolescents immigrés pour leur extorquer le prix du passage en France. Leur fonction est purement utilitaire.

Pour finir, nous voici devant une œuvre au sujet/message sans doute nécessaire, contre laquelle il semble bien difficile de s’opposer. Mais il faut aussi reconnaître, même si le constat est assez triste, que désormais il devient plus difficile d’adhérer au système Dardenne.

2

RÉALISATEUR :  Jean-Pierre et Luc Dardenne
NATIONALITÉ : Belgique, France
AVEC : Pablo Schils, Joely Mbundu, Alban Ukaj, Tijmen Govaerts
GENRE : Drame social
DURÉE : 1h28
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
SORTIE LE 5 octobre 2022